Le
Livre de Saint Jacques ou Liber Sancti Jacobi (Codex
Calixtinus)
Florence
VIANT
Master
SIB 2ème année Option Réseaux d’information et Document
électronique 2005 - partie 2
1.
Introduction
Le
Liber Sancti Jacobi, appelé aussi Codex Calixtinus
en raison de sa préface attribuée au pape Calixte
II, est composé de cinq livres. Le plus ancien manuscrit,
probablement réalisé entre 1130 et 1140, se trouve
aujourd'hui aux Archives de la Cathédrale de Compostelle.
Un
recueil de textes en l'honneur de l’apôtre saint
Jacques et un répertoire de miracles forment le
livre I et II. Le Livre III traite de la Translation
et des Célébrations de saint Jacques à Compostelle.
Le livre IV (ou Chronique du Pseudo-Turpin) narre
l’histoire de Charlemagne et de Roland. Enfin, le
Guide du Pèlerin de Saint Jacques de Compostelle
forme le Ve livre. Ce dernier livre contient un
mémoire sur le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.
Ce
travail a pour principale mission d’établir une
présentation à la fois synthétique et exhaustive
de cette oeuvre, en faisant le point tout d’abord
sur ses nombreuses dénominations et sur les différents
manuscrits existants. Puis, le contenu des cinq
livres du Codex Calixtinus sera présenté. En dernière
partie, nous aborderons la question de son ou ses
auteurs et de la raison de sa rédaction.
2.
L’aspect matériel du Codex Calixtinus
Selon
le dictionnaire Gaffio 34, codex signifie "tablette
à écrire, livre, registre, écrit".. Le codex,
c’est-à-dire le livre en cahier, apparaît au Ier
siècle après J.C et succède ainsi au volumen, le
livre en rouleau. Ce nouveau format ne s’imposera
qu’à partir du Ve siècle après J.C.
2.1.
La question de ses noms
Les
noms Codex Calixtinus, Liber sancti Jacobi ou la
traduction française Livre de saint Jacques ne sont
pas d’origine, les deux derniers étant des inventions
du XXe siècle. En effet, initialement, le livre
était appelé Jacobus, du nom de l’apôtre Jacques;
ce nom apparaissant dans le poème au-dessus de l’incipit
de la lettre
du pape Calixte.
Le
nom Codex Calixtinus ou Liber Calixtinus vient de
l’habitude de nommer les manuscrits anciens par
le nom de leur auteur, mais cette dénomination n’est
pas qu’une commodité de langage; en effet, comme
le souligne A. Moisan "Parce qu’il est présenté
sous l’autorité du pape Calixte II (1119-1124),
le manuscrit est connu sous le nom de Liber Calixtinus.
Cette glorieuse attribution assura le succès de
l’oeuvre au Moyen Age, mais quand la critique eut
reconnu que cette attribution n’était pas authentique,
le manuscrit fut victime de désaffection et de mépris:
le Liber Calixtinus fut considéré comme une compilation
incohérente".
2.2.
Les différents manuscrits
Le
manuscrit du Codex Calixtinus conservé aux Archives
du Chapitre de la cathédrale de Compostelle se présente
comme le manuscrit le plus ancien et le plus complet
du Liber sancti Jacobi. C’est un parchemin de format
295x215 mm. et rédigé en minuscule du XIIe siècle.
Des passages de ce manuscrit ont été arrachés, puis
recopiés, rajoutés… Cependant, après la restauration
de ses cinq livres en 1966, nous pouvons affirmer
qu’il comporte un total de 225 folios recto verso.
Des ajouts y ont été apportés : tables des matières
et quelques notes dans sa marge.
De
ce manuscrit a été fait une dizaine de copies dont
les plus connues sont:
-
Le manuscrit 99 du fonds Ripoll des Archives de
la Couronne d’Aragon à Barcelone, qui comprend 86
folios de format 280x138 mm avec 26 lignes par pages.
Il aurait été copié à partir du Codex Calixtinus
aux alentours de 1172-1173 par un moine de l’abbaye
bénédictine Sainte-Marie de Ripoll.
-
Le manuscrit 334 du fonds Alcobaça de la Bibliothèque
Nationale de Lisbonne, classé fin XIIe - début XIIIe,
en parchemin, de format 347x230 mm en 215 folios.
C’est une copie presque complète du Codex, mais
dont l’ordre initial ne pas été respecté. Elle aurait
été faite entre 1152 et 1160.
3.
Présentation synthétique du contenu du Liber
Le
Liber sancti Jacobi n’a pas été écrit pour être
lu page après page, mais consulté au besoin, quotidiennement,
psalmodié peut-être pendant les repas en commun
des moines. Cela apparaît clairement en détaillant
la structure de ce livre.
3.1.
La lettre du Pape Calixte II
Une
lettre occupant les deux premiers folios ouvre le
livre. L’auteur, qui se présente comme le pape Calixte
II, raconte la manière dont il collecta de nombreux
témoignages au sujet des bienfaits de saint Jacques.
Cette lettre est adressée à l’assemblée de la basilique
de Cluny et à Diego Gelmirez, archevêque de Compostelle.
3.2.
Livre I
Le
premier livre du Codex Calixtinus est consacré à
la réforme du culte de saint Jacques à Compostelle.
Il
débute au verso du deuxième folio (juste après la
lettre) et s’interrompt au recto du folio 139. De
par sa taille, c’est le livre le plus important
du Codex.
Les premiers feuillets comportent la table
des matières (avec ses trente et un chapitres).
Ensuite,
viennent les sermons (vingt chapitres), qui contiennent
des indications de lecture pour les messes, avec
les dates de celles-ci.
Puis, trois chapitres forment
l’office, toujours avec des indications spéciales
pour chanter les messes à certaines dates. Des portées
(en notation médiévale) accompagnent cet office
et le missel qui les suit sur sept chapitres.
Un
supplément, composé de textes avec notations musicales,
forme le dernier chapitre du livre.
Il
est important de mentionner que la plupart de ces
pièces sont dites créées par Calixte II, mais que
certaines sont attribuées à d’autres auteurs, notamment
à Aimeri Picaud (Aymeric ou Aimery selon les chercheurs).
Selon
A. Moisan, c’est dans ce livre que "le rédacteur
réalise le but essentiel de son entreprise, donner
à l’un des trois grands pèlerinages de la chrétienté
la liturgie solennelle qu’il réclame et qui lui
manque en ce début du XIIe siècle".
3.3.
Livre II ou "Livre des Miracles"
Le
Livre II, également appelé Liber Miraculorum, "le
livre des miracles", s’étend du folio 140 au
folio 155. Il comporte un prologue, argumentum Calixti,
et une table des matières.
Les miracles narrés dans
ce livre sont au nombre de 22 et se situent tous
dans les régions évoquées dans le Guide du pèlerin
(Livre V) ce qui pousserait à croire que l’auteur
de ces deux livres ne serait qu’une seule et même
personne.
Ce
deuxième livre représente la suite logique du premier.
En effet, "les deux Passions du livre I et
les deux Translations du livre III encadrent le
recueil de miracles, l’ensemble reconstituant en
quelque sorte le schéma en usage dans l’hagiographie".
3.4.
Livre III
Le
troisième livre, assez peu connu, est le plus court:
folios 155 à 162. Il ne comporte que quatre chapitres
et débute également par un prologue et un sommaire.
Ce livre clôt la partie liturgique et hagiographique
du Codex.
Il traite de la translation du corps de
saint Jacques de Jérusalem à Compostelle.
Il établit
ensuite un calendrier des fêtes liturgiques (Chap.
III) avec un appendice sur les "trompettes"
de saint Jacques (Chap. IV).
A
partir de ce troisième livre, le Liber sancti Jacobi
change de thématique, bien que saint Jacques en
soit toujours le fil conducteur: "Si dans sa
premièremoitié, le Codex Calixtinus est un bon témoin
du culte des saints au Moyen Age, l’autre moitié
est une composition originale comprenant le récit
de la conquête de l’Espagne par Charlemagne et le
Guide du pèlerin de Saint-Jacques".
3.5.
Livre IV ou "Chronique du Pseudo-Turpin"
Ce
livre a longtemps été appelé Chronique de Turpin
en raison du nom dont il est signé: Archevêque de
Turpin. Puis, il a été rebaptisé Chronique du Pseudo-Turpin
parce qu’il a été démontré au XXe siècle que ce
livre avait été faussement attribué à ce personnage
historique. En effet, selon la Chanson de Roland,
l’archevêque Turpin serait mort à Roncevaux.
Ce
livre peut être considéré comme à part, car à l’origine
il n’a pas été numéroté. Il aurait été inséré plus
tardivement à l’ensemble du Codex. De plus, le Guide
du pèlerin était lui numéroté "Liber IV".
Malgré tout, les copies anciennes (de Ripoll et
d’Alcobaça) permettent
d’attester sa présence dans
le Codex à cet endroit précis.
La
Chronique s’étend du folio 163 au folio 191 et comporte
26 chapitres.
Egalement
nommé Historia Turpini, le livre IV relate l’histoire
de Charlemagne et de Roland dans le style des Chansons
de Geste. Son but semble donc, au travers de l’exemple
(dans le sens de l’Exemplum latin) de Charlemagne,
d’encourager la reconquête de l’Espagne opprimée
par la domination arabe.
Bien qu’elle se situe à
mi-chemin entre l’oeuvre épique et l’oeuvre religieuse,
elle contraste nettement de par son style et son
propos avec les trois premiers livres du Codex:
"En regard des autres sections du Liber sancti
Jacobi où de nombreux textes hagiographiques et
liturgiques visent à célébrer la gloire de l’Apôtre
et de son pèlerinage, l’Historia Turpini […] est
avant tout une narration des campagnes menées par
Charlemagne en Espagne et en Aquitaine pour repousser
les ennemis de la chrétienté"..
Il semblerait
donc qu’il s’agisse d’une sorte "d’oeuvre de
propagande", un appel à la croisade sainte,
où Compostelle est remplacé par Jérusalem. Saint
Jacques en est le fil conducteur; il donne le départ
de la quête lors d’une apparition en vision à Charlemagne
et il en est le but: délivrer son tombeau et libérer
sa terre de l’occupation mozarabe.
La
particularité de ce texte est de mêler deux matières,
chevaleresque d’une part et religieuse d’autre part.
L’aspect militaire et spirituel, voire moralisateur
forment un mélange qui a parfois déconcerté les
critiques. A qui est vraiment destiné le Liber sancti
Jacobi ? Pourquoi un livre de type Chanson de Geste
est-il inséré dans un livre hagiographique ? Ce
que les critiques s’accordent à dire, c’est que
cette Chronique a été rédigée par un clerc français,
sans doute Aimeri Picaud, un prêtre originaire de
Parthenay-le-Vieux.
Ainsi, le livre ayant été rédigé
par un clerc et en latin, la langue savante par
excellence, il est une certitude qu’il ne pouvait
s’adresser à tout le monde. Cependant, la présence
d’un tel récit, mettant en scène des héros aussi
exemplaires que populaires, tels que Charlemagne,
Roland ou Olivier, a sûrement servi au succès du
Codex Calixtinus en popularisant en quelque sorte
la religion catholique.
Ce
livre a en effet connu un énorme succès, en témoignent
139 manuscrits plus ou moins complets diffusés en
latin et en plusieurs langues, contrairement à la
partie liturgique, qui elle resta pratiquement inconnue.
3.6.
Livre V ou "Guide du pèlerin"
Le
dernier livre, le Guide du pèlerin, à l’origine
titré "Liber IV", est donc le cinquième
opus du Liber sancti Jacobi. Il s’étend du folio
192 au folio 213 et contient onze chapitres. Ce
fut la première section du Codex a avoir été traduite
en 1938 par Jeanne Vieillard.
Ce
livre contient un mémoire sur le pèlerinage à Saint-Jacques
de Compostelle. Il est souvent pris pour la totalité
du Codex, alors qu'il n'en constitue que le 1/10e.
Il est aussi le plus connu et le plus étudié après
la Chronique de Turpin. Tel un "guide touristique",
il renseigne le pèlerin sur les itinéraires pour
entreprendre le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle.
C’est une oeuvre pittoresque qui donne aux lecteurs
modernes un témoignage intéressant du mode de vie
et des pensées au Moyen Age.
Quant
à l’auteur du Guide, les critiques ne semblent pas
encore d’accord sur la question, mais deux noms
ressortent: Hugues le Poitevin, chroniqueur de Vézelay,
selon B. Gicquel, ou Aimeri Picaud, le prêtre, selon
A. Moisan et E. Filhol.
3.7.
Les suppléments
A
la suite du Livre V, on retrouve différents suppléments
occupant quarante-deux folios du Codex qui furent
vraisemblablement ajoutés par la suite.
On y retrouve
des hymnes avec des notations musicales, attribués
à divers personnages, provenant en majorité de Vézelay
ou de Cluny.
4.
Par qui a t’il été écrit et pourquoi ?
4.1.
Qui est l’auteur du Codex ?
L’attribution
d’un auteur à un ouvrage du Moyen Age quel qu’il
soit est souvent une tâche ardue pour les critiques.Une
chose est certaine, l’auteur est un homme d’église
français.
Ainsi
malgré l’"omniprésence […] du nom du pape Calixte
II (1119-1124), à qui est nommément attribuée la
rédaction de presque la moitié du Liber, dont les
trois quart du Sermonnaire, justifiant le titre
habituellement donné au manuscrit galicien: Codex
calixtinus", il n’en est pas l’auteur, pas
plus que Turpin, comme nous l’avons démontré plus
haut.
E.
Filhol donne un bref mais évocateur aperçu de l’état
des recherches et des débats sur ce sujet, du moins
en ce qui concerne l’attribution du Livre V: "Une
lettre qui figure à la fin du cinquième livre et
qui se présente comme l’oeuvre du pape Innocent
II indique que le Liber Calixtinus aurait été donné
à l’église de Compostelle par le poitevin Aimery
Picaud de Parthenay-le-Vieux. On a donc supposé,
bien que la thèse de l’origine clunisienne du livre
ait d’abord été soutenue au début du siècle par
Joseph Bédier, reprise ensuite par Emile Mâle et
Henri Focillon, qu’Aimery Picaud serait l’auteur
ou l’un des auteurs du Guide du pèlerin"..
Cependant,
les chercheurs s’accordent à dire que l’ensemble
du Liber sancti Jacobi, au vu de ses particularités
et de sa complexité, n’est pas une oeuvre individuelle,
mais plutôt une oeuvre collective rédigée en plusieurs
étapes et marquée par de nombreuses influences:
Aimeri Picaud de Parthenay-le-Vieux, bien entendu,
l’archevêque Diego Gelmirez, l’abbaye de Vézelay…
4.2.
Pourquoi a t’il été écrit ?
Une
chose est sûre, le Codex Calixtinus est avant tout
une oeuvre religieuse, destinée un usage interne
- principalement du fait de sa rédaction en langue
latine -, mais il a cependant les ambitions d’un
texte sacré, pour preuve les enluminures et illustrations
qui ornent de part et d’autre le manuscrit.
A.
Moisan va plus loin dans son étude de l’oeuvre et
conclut: "Des points acquis jusqu’ici une constatation
se dégage: le Liber-Codex est bien tout entier une
« obra de propaganda », dont le but est de célébrer
saint Jacques et son pèlerinage, essentiellement
en réformant la liturgie sclérosée que dénonce la
lettre inaugurale mise sous l’autorité du pape Calixte
II, par l’apport de la liturgie romaine universelle".
5.
Conclusion
Le
Liber sancti Jacobi est une oeuvre complexe, difficile
à cerner et donc à étudier, d’une part à cause de
notre éloignement chronologique et d’autre part
en raison de sa grande diversité de tons selon les
cinq livres qui la composent. En effet, entre guide
religieux et spirituel, chanson de geste et guide
de pèlerinage, contenant à la fois illustrations,
partitions musicales, messes et récits en tout genre,
le Codex Calixtinus laisse aux chercheurs encore
bien des pistes à explorer.
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