Sandrine
sur le chemin - Mon Chemin des Alpes aux Pyrénées...
(Zoreilles
du Chemin n° 29 Janvier 2013)
"Vous
marchez pour le plaisir ou par nécessité ?"
me demande une personne dans le petit café de Myans.
C'est ma première journée, et en voilà une bonne
question ! Je passe souvent devant ce café sur la
route de Chambéry, je me ravitaille parfois en pain
à côté, mais là, je m'y arrête pour la première
fois. C'est parti... Les rencontres commencent,
les regards interrogent !
Au
fait, qu'est-ce que je réponds ? j'étais surprise
d'une telle question directe allant à l'essentiel,
et aujourd'hui je dirais "les deux, mon capitaine".
La nécessité de se faire plaisir pour reprendre
goût à la Vie, la vivre pleinement, et la respecter
partout où elle se manifeste. Mon chemin commençait
donc bel et bien là, à la porte de chez moi.
Les
jours se sont par la suite succédés, tels un rythme
inaltérable: jour-nuit-jour... Cependant, aucun
ne ressemblait au précédent, malgré les rituels
du pèlerin. Du permanent dans l'impermanence...
Mais
à quoi ressemblaient mes journées ? Chaque matin,
lever aux aurores. Ensuite, il est temps de s'atteler
à la préparation du sac. Chaque chose trouve bien
sa place dans son sachet plastique. Le sac s'est
même allégé, je crois, par quel miracle ? Moi aussi,
je trouvais bien ma place au fil des jours, libérée
de ce qui m'enfermait.
Puis,
surtout prendre le temps du soin des pieds. Nos
pieds: seul contact entre nous et le sol, la Terre.
Ce sera là une leçon essentielle: prendre soin de
ce dont on a besoin. Seulement, sait-on de quoi
nous avons réellement besoin, là dans l'instant
?
Avant
le départ, un dernier coup d'oeil sur les guides,
histoire de se rassurer. Lâcher prise oui, mais
faire avec ce qu'on est, aussi...
Tout
cela fait en une bonne heure, je peux alors prendre
la route. Mais pas avant de remercier les hospitaliers,
et de leur faire mes adieux. Chaque fois, je me
suis demandée " Qui sont ces hospitaliers qui
nous accueillent, nous sourient, répondent à nos
questions, nous en posent ou pas, supportent nos
humeurs, tamponnent notre crédencial, soignent nos
pieds, nous encouragent, nous rassurent (ou pas),
qui sont ces hospitaliers qui nourrissent notre
corps, notre esprit, voire notre âme ? ". Je
les remercie, et parfois avec pudeur, j'écrit un
petit mot dans le livre d'or qui en dira peut-être
plus... Puis il est temps de partir, d'avancer,
alors on s'embrasse... Moment précieux, chaleureux,
bienveillant, fraternel...
C'est
reparti ! Le coeur empli de Joie... Au petit matin
ou au détour d'un chemin, on quitte parfois d'autres
pèlerins: "Ultréïa ! A plus tard ! Peut-être
? Bon Chemin... ". Tant de fois répété.
Lorsque c'est un "Bon retour, je suis contente
d'avoir cheminé avec toi !" qui est de circonstance,
c'est plus triste... Joie de la rencontre mêlée
à la tristesse de la séparation, voilà ce qui nous
fait nous sentir vivant... Encore faut-il l'accepter
! On s'attache et on se détache sans fin... Moment
précieux, chaleureux, bienveillant, fraternel...
C'est
reparti ! Le coeur empli de Vie... Et voici le temps
de la marche... Et là, il y a Tout à dire ou Rien.
Car ce n'est rien d'autre que de la marche, vous
connaissez ça, mettre un pied devant l'autre. Qui
se souvient de ses premiers pas d'enfant ? On tombe,
on se fait mal parfois, puis on se relève. Car rien
d'autre ne compte: mettre un pied devant l'autre,
rester debout. On recommence sans cesse cela: tomber,
se relever... Rien de bien exceptionnel alors ?
Et pourtant, Tout est là. Peut-être qu'au delà de
se tenir debout, s'agit-il de s'élever ?
La
journée passe ainsi, en suivant Le Chemin ou Un
Chemin ou Mon Chemin ? Comment savoir quel chemin
on suit ? Comment savoir quel chemin prendre ? Interroger
son intuition et lui faire confiance, comme on fait
confiance à ses pieds qui sentent et évitent les
obstacles qui nous feraient chuter... Des kilomètres
de perceptions solitaires, parfois en compagnie.
Des
sentiers tendres ou rocailleux, de silences légers
ou profonds, de fleurs éclatantes, de papillons
éphémères, de prunes rouges, de tournesols souriants,
de blés dorés, de maïs dressés, d'églises fraîches,
de fermes tranquilles, d'anciennes bâtisses, de
croix discrètes, de vaches charolaises, Aubrac,
Limousines, de vautours tournoyants, de chiens grognants
"Attention, chien méchant" (et le maître
?), de chats perchés, de merles planqués, de montagnes
verdoyantes ou minérales, de chemins forestiers,
de brebis regroupées, de ciel lumineux, de soleil
chaud, de villages peuplés ou désertés, de villes
bruyantes, de hameaux paisibles, de rivières vives,
de larges fleuves, de voies ferrées abandonnées,
de cailloux blancs, ocres, noirs, d'arbres majestueux,
de forêts sombres, de champs clairs, de prairies
fleuries, de petites chapelles, de portes à ouvrir
ou à regarder, de balises à repérer, de coquilles
rassurantes, d'épiceries fournies, de cafés vivants,
d'abris réconfortants, de gîtes accueillants, de
vent frais, de chaleur fatigante, de froid piquant,
de nuages impressionnants, de pluie fine, de longues
montées, de descentes délicates, d'insectes agités,
d'escargots à éviter, de framboises sucrées, de
cerises rondes, de gens authentiques !
Chaque
jour, j'étais bercée, imprégnée, touchée par ce
rythme, par cette beauté. Omniprésente. Notre regard
décide-t-il de ce qui est beau ?
Après
ces kilomètres parcourus, arrive enfin le moment
du repos, des rencontres dans des lieux hospitaliers.
Enfin, vous l'aurez compris, le lendemain, tout
recommence différemment... C'est comme nous, les
Hommes, on est tous pareils et différents. J'aime
cette différence. Elle est notre richesse. Mes journées
se sont ainsi enchaînées au rythme de mes pas. Des
Alpes aux Pyrénées, cela en fait des kilomètres
...
Au
retour, finies les questions telles que "Vous
êtes seule, vous n'avez pas peur ? Pourquoi faites-vous
ce
Chemin
? C'est religieux ? Où vas tu ? D'où viens-tu ?
". Elles laissent place à d'autres interrogations
comme: "Combien de temps as tu marché
? Combien de kilomètres en moyenne ? Quelle était
ta vitesse de marche ? ". Il y avait
aussi "Comment c'était ? Et tu as eu de la
pluie, non ? ". Peut-être que certains
auraient voulu me demander autre chose sans oser
le faire ? Dommage, ces questions en suspens pouvaient
être les bienvenues !
Bien
sûr, il me reste des zones à peine effleurées. L'Essentiel
? Indicible, invisible, sensible ? A quoi pense-t-on
quand on marche tout ce temps ? Qui ai-je rencontré
? Que partage-t-on entre compagnons de route ? Pour
les autres, je ne le sais pas, pour moi je
le sais à peine... A quoi ai-je pensé ? A tout,
à rien, à moi, à mes pieds, à mon dos, à mon sac
trop lourd puis plus léger, à vous, à nous, à ma
route, au Chemin, à mes compagnons de route, à ma
famille, aux croyances, à " Dieu ", aux
Hommes qui croient... Et puis j'ai pensé à rien,
j'ai senti ce qui m'entoure, j'étais là sans penser
à autre chose: je suis là, Vivante, je suis là,
présente ! Mettre un pied devant l'autre, pas besoin
d'y penser !
Qui
ai-je rencontré ? Simplement ce que j'ai vu et senti
de l'Autre. Et il est plus que ça. C'est alors moi-même
que j'ai surtout rencontrée. J'ai découvert quel
regard je porte sur le monde, sur l'Autre et sur
moi. "Quelle belle vision de la Vie tu as !
" m'a-t-on écrit une fois. Quel magnifique
cadeau ! Ne pouvais-je en avoir conscience ?
Que
partage-t-on entre compagnons de route ? Un regard,
un sourire, un silence, un rire, un chant, un café
noir, un arc-en-ciel, un melon, des cerises, un
lever de soleil, un émerveillement, un langage,
une chambre, un morceau de pain, un soupir, un massage,
un fichu, une gorgée d'eau, un air de piano, une
idée, un journal, un fil à linge, un bout de savon,
l'ombre du chêne, la peur de l'orage, un agacement,
une fatigue, un conseil, un bungalow, un restaurant,
un souvenir, un frisson, un aligot, une pause photo,
une complicité, une joie, une prière, un recueillement,
un égarement, une flamme, des larmes, une embrassade,
une pensée, une confidence, un message dans l'Eglise...
? Un bout de chemin. La Vie ! Ni plus, ni moins
!
Sans
parler de tout ce qui ne trouve pas de mot pour
se dire. Sans parler du retour à la maison, car
là c'est une autre histoire... Ce texte en fait
partie. Et si on ne rentrait jamais tout à fait
?
Sandrine,
la pèlerine au fichu bleu - sandrine.lemaire212@orange.fr
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