Stéphan
Marchiset pèlerin ;
; un foulard de Saint Jacques
de Compostelle
Vous
même, avez-vous parcouru le Chemin ?
Oui,
la première fois, c’était en juillet 1994,
je suis parti de St Jean Pied de Port à Labacolla
avec un de mes deux frères. J’avais ressenti très
fortement un appel suite à la venue du pape
à Compostelle. La première fois en 1994, le fut
en véhicule et un peu à pied, c’est pour cela que
je ne la mentionne pour ainsi dire jamais . Ce n’était
pas un pèlerinage, tout au plus un voyage historico-culturel.
Cependant,
le moteur principal fut la volonté de relever le
voeu fait par mon père alors qu’il était pris dans
la tourmente de la guerre d’Algérie et juste avant
d’épouser ma mère. J’étais alors en garnison
à Lure (70), m’occupant régulièrement de mon grand-père
paternel âgé de 93 ans; je savais que j’allais partir
en Bosnie à l’hiver 95 et qu’à mon retour de cette
mission j’allais être muté en Allemagne: le chemin
me permettait de me préparer moralement et spirituellement
à ma mission et à une douloureuse séparation qui
me faisait peur, ne voulant pas que mon grand-père
parte en maison de retraite.
Je
ne sais jamais comment présenter la chose, de peur
d’être pris pour un illuminé, mais mon grand-père
décédait le 12 juillet 1995 au moment ou je déposais
une pierre emportée de chez lui à la Cruz de Ferro,
derniers points culminant du chemin avant la descente
vers Compostelle. Mais cette fois là je n’ai pas
voulu entrer à Saint-Jacques car je ne me sentais
pas prêt.
Pourquoi
?
Ce
premier périple, réalisé avec mon frère Jean (de
5 ans mon cadet), nous a fait rencontrer des pèlerins
qui réalisaient cette démarche pour diverses raisons
. Ce qui se dégageait d’eux était parfaitement perceptible
et pourtant si éloigné de nous que cela nous a fait
regretté de ne pas être à pied; cela devait ses
mériter à n’en pas douter.
Vous
êtes donc reparti…
Oui,
en juin-juillet 1995, je suis allé de Bayonne
à Compostelle, seul. En juillet 1996, j’ai marché
de Vézelay à Pierrecourt (70), toujours seul. En
juillet 1997, j’ai rallié St-Jean Pied de
port à Compostelle, avec mon second frère
et une partie du chemin avec notre père. Puis en
août 1998, je suis reparti seul entre Trêves et
Vézelay. En septembre 2000, j’ai marché de Morlaas
à Logroño, mais j’ai dû abandonner suites à des
problèmes de santé, liés à un accident qui s’est
produit en 1999.
Que
s’est-il passé ?
J’ai
été victime d’un accident de char de combat lors
d’un exercice de nuit. Il me laissa paralysé durant
six semaines. Je fus le seul à avoir été blessé,
et j’en remercie le Ciel chaque jour; à l’époque
nous avions des appelés, et je ne me serais pas
remis d’avoir été responsable d’un tel fardeau.
A l’aumônier, j’avais dit avec ironie que si je
pouvais marcher à nouveau, je voulais bien croiser
le chemin de St-Jacques ou même le faire aussi souvent
que possible. Résidant au Kremlin-Bicêtre et travaillant
à Montparnasse, je pars travailler à pied tous les
jours, et je croise la rue St-Jacques soir et matin…
Et
vous avez repris le Camino ?
Oui,
en Juin-juillet 2001: de Billière à Compostelle-Padron,
seul par le chemin aragonais. Puis en août-septembre
2003 du Puy-en-Velay à Roncevaux, toujours
seul. En 2004, je me suis marié, et ma fille Anaïs
est née en 2005.
Pourquoi
éprouvez-vous le besoin d’y retourner régulièrement
?
Tous
les pèlerins vous diront que l’enrichissement humain
et spirituel est tel qu’il ne peut se rencontrer
sur un autre chemin. Sa dimension universelle et
humaine (au sens ou nous ne sommes pas des machines)
en fait un chemin unique qui nous rapproche, alors
que la vie "moderne" nous éloigne; malgré
toutes les solutions de communication qu’elle propose,
nous n’avons jamais été aussi seul. Ce chemin (quel
que soit l’itinéraire emprunté) est un bain de jouvence
qui donne la possibilité de croire encore que tout
est perfectible dans notre monde, car il agit en
chacun d’entre nous.
Quels
ont été les moments les plus forts sur le Chemin
?
Il
y en a tant; mais sans hésiter et par ordre d’importance:
la rencontre de mon épouse lors de mon dernier pèlerinage
le 23 septembre 2003 alors qu’elle déménageait pour
partir en Vendée; les retrouvailles avec mon père
à Compostelle le 20 juillet 1995 alors qu’il venait
de perdre son père 8 jours plus tôt; et enfin la
rencontre et la marche avec Martin (un pèlerin du
Québec) pour tout ce qu’il m’a apporté pour m’aider
à reprendre confiance en moi.
Quelle
différence avez-vous expérimentée entre marcher
sur le camino seul et accompagné de proches ?
La
solitude nous remet à notre place d’homme, sans
aucun repère visible pour les autres: ni frère,
ni père, ni riche, ni pauvre, sans grade ni distinction,
nous devenons un étranger, ce qui je crois est le
sens étymologique de pèlerin! La réflexion est aussi
plus intense et les rencontres se font plus naturellement
du fait que nous nous rendons plus disponibles,
étant seul.
J’ai
apprécié de pèleriner avec des membres de ma famille
ou des amis; nous nous apportions une aide mutuelle
qui dépassait les simples obligations d’une vie
familiale ou amicale. Cette expérience nous apporte
encore et nous porte dans la vie de tous les jours
….. même si elle se charge de nous éloigner par
moment, le camino reste un lien indéfectible qui
nous unit bien plus que les liens du sang.
Que
représente, pour vous, l’expérience de la marche
?
La
marche est tout simplement le moyen de se mettre
dans l’éventualité de à la rencontre. La marche
nous ouvre à la spiritualité car une fois encore,
elle nous remet dans notre position d’homme et de
sa petitesse devant ce qui peut être contempler
au rythme de ses pas. Enfin, la marche nous donne
un but à atteindre; ce but peut revêtir de nombreux
aspects, il est souvent celui de se reconstruire
et de chercher une réponse qu’un monde sans but
ne peut plus apporter.
Certains
disent qu’il ne faut surtout pas repartir sur le
chemin une fois qu’on l’a fait une première fois;
je n’en connais pas qui ne soit pas allé à nouveau
sur les chemins de Compostelle … ou d’ailleurs!
Notre vie nous sédentarise de plus en plus, nous
passons les 2/3 du temps assis dans un fauteuil
ou sur une chaise. Il suffit de se mettre en mouvement
pour se rendre compte de l’infini potentiel de la
marche!
En
cette année jacquaire, comptez-vous reprendre le
Chemin ?
Mon
projet est de partir en septembre sur une grande
partie du Camino Primitivo seul (si mon emploi du
temps me le permet), et une partie finale avec un
membre de ma famille. Pourquoi pas arriver à Compostelle
pour la venue du Pape tout début novembre et lui
offrir le foulard (si il a vu le jour !).
Aimeriez-vous
marcher avec votre femme, votre fille ?
J’ai
déjà marché et pèleriné avec ma femme. Si Dieu me
prête vie, j’ai bien l’intention de le faire avec
mes filles, gendres et leurs enfants. Il me tarde
de le faire si ils le veulent bien alors. L’appel
de Compostelle est continu; l’envie de partir
fréquent, alors lorsque le moment viendra, je serai
sans doute au ciel bien avant l’heure.
Vous
êtes passionné d’héraldique et vous avez décidé
d’éditer ce foulard, alors que vous auriez pu réaliser,
par exemple, un blason jacquaire. Pourquoi ce choix
?
L’héraldique
jacquaire est d’une évidence limpide dans toute
l’Europe: bourdons et coquille définissent parfaitement
ceux ou celles qui les portent. La science du blason
est issue de la guerre, car il fallait distinguer
les combattants des camps opposés. Même si, aujourd’hui,
ce n’est plus le cas, à proprement parler, je ne
voulais pas que ce foulard puisse être vu au travers
de ce prisme.
Le
vitrail est une prière qui peut élever les esprits
en les portant au questionnement intérieur, à la
méditation; ce mode de langage est lui aussi universel,
et il permettait de garder cette dimension, en laissant
plus de place pour le message de paix, de fraternité
et de partage que je veux faire passer.
Quel(s)
conseil(s) donneriez-vous à quelqu’un qui rêverait
de faire le Chemin ?
L’expérience
sera sans aucun doute l’une des plus enrichissantes
de votre vie, elle vous apportera bien plus que
vous n’osez l’espérer. Même si l’on en sort pas
indemne, ce n’est pas un rejet du monde mais une
ouverture à ce qu’il peut présenter et apporter
de meilleur.
Sur
un plan plus pratique, je leur dirais de laissez
tomber les périples bien saucissonnés et imposés;
même si il faut bien emprunter un itinéraire connu,
le rythme de marche est différent pour chacun en
fonction de son âge, son poids, sa santé.
N’emportez
pas votre maison sur votre dos, laissez un peu de
place à l’imprévu. Après tout, l’essentiel est dans
le but que vous vous êtes fixé ! Ce dernier répond
à une question simple: pourquoi avoir quitté le
confort douillet de votre famille, de votre maison
et de vos amis ?
recueilli
par Gilles Donada/blogdesmarcheurs.fr
Le
site de Stéphan Marchiset :
http://stephan-marchiset.blog.pelerin.info/

un foulard de Saint Jacques
de Compostelle :
au
centre : Saint Jacques en majesté
au
dessus : La Vierge del Pilar de Zaragoza
au
dessous : Saint Jacques posé sur le roc creusé en
sarcophage.
à
gauche : Saint Roch et Saint Martin de Tours.
à
droite : Santo Domingo de la Calzada et San Juan
de Ortega
aux
quatre coins: les quatre évangélistes
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