Accueillir
les pèlerins, une vraie richesse.
Marcel
et Marie Paule Gégu
Gîte
Bellevue 64120 Aroue
Aroue,
première commune du Pays Basque, est placé géographiquement
à mi- distance de Navarrenx et d’Ostabat, deux étapes
de la voie du Puy distantes de 40 km environ.
Qui
sont-ils donc, ces pèlerins qui marchent ?
Tout
d’abord, il faut préciser qu’ils s’agit bien pour
la plupart de personnes qui marchent, portant leur
sac avec la totalité de ce qui leur est nécessaire.
Il y a eu très peu de cyclistes accueillis, ne serait-ce
que parce qu’ils ne sont pas prioritaires dans l’accueil,
capables d’aller plus loin, éventuellement hors
du chemin, pour trouver un lit. Il y a bien quelques
voitures d’accompagnement: certains pèlerins, ne
pouvant marcher sur des étapes assez longues, assurent
la logistique pour le reste de leur petit groupe,
mais c’est plutôt une exception.
Porter
le sac à dos n’est pas toujours possible, et diverses
solutions sont entrevues au cours des passages
-
la bicyclette, sans même un pédalier, qui
sert de chariot porte bagage,
-
le petit chariot attaché à la taille,
-
la brouette de maçon qui sert aussi à porter le
chien quand il est trop fatigué,
-
l’âne qui porte les bagages de la famille,
et
bien sûr aussi le service de transport de sacs,
bien organisé, qui permet:
-
soit de se décharger pour une journée ou deux et
d’éviter ainsi un arrêt lors d’une période de grande
fatigue ou d’un incident de santé,
-
soit de disposer lors de l’étape d’un équipement
plus important que chacun n’aurait pu emporter sur
son dos. Il nous est arrivé, au vu d’un
très gros sac, de demander à notre hôte si elle
avait emmené sa robe du soir et ses escarpins.
Mais
pourquoi ces personnes se retrouvent-elles sur le
chemin ?
Il
s’agit là de l’interrogation de tous ceux qui, un
jour ou l’autre, ont appris qu’il y avait tant de
monde sur le Chemin, et c’est bien la question à
laquelle on ne saurait répondre pour plusieurs raisons.
D’abord, c’est la question que nous ne posons pas.
Il nous apparaît en effet qu’il s’agit là
d’un des aspects les plus personnels du chemin,
et qui doit être respecté le plus possible.
Cependant
notre statut d’accueillant est très particulier:
attentifs aux personnes, nous essayons de nous rendre
disponibles pour les écouter, leur présenter notre
maison, notre coin de paradis que nous partageons
avec eux, ménageant dans la mesure du possible des
temps d’échanges pour répondre à leur légitime curiosité
concernant le Pays Basque. Sentant une oreille bienveillante,
certains s’ouvrent aux confidences, avec peut-être
d’autant plus de liberté qu’ils savent que nous
ne nous reverrons sans doute pas.
Par
ailleurs, au vu des personnes que nous accueillons,
il y a une très grande diversité qui serait difficile
à classer en catégories.
Il
y a bien sûr ceux qui se veulent pèlerins, et font
de leur marche un temps de prière.
Ils
sont heureux lorsqu’on leur propose un temps à l’église
autour de l’Eucharistie, ou de nous accompagner
à la messe du samedi soir dans notre paroisse. La
plupart cependant ne font pas état de cette motivation
profonde.
Nous
nous souviendrons de cette dame qui a tenu
à nous dire sa joie d’avoir participé à la messe
dans une de nos nombreuses petites églises
où nous l’avions emmenée avec d’autres pèlerins,
avant de nous informer qu’elle était Pasteur de
l’église réformée.
Nous
nous souviendrons aussi de cette cérémonie de prière
dans une église baptiste de Vancouver (Canada) où
nous avions retrouvé des amis pèlerins, pasteurs
de cette église, avant de terminer la soirée dans
un pub animé par un match de hockey sur glace.
Il
y a aussi les sportifs.
Amateurs
de marches, ilssont séduit par les possibilités
d’accueil sur le GR 65, qui est sans doute celui
qui offre le plus de possibilités d’hébergement
avec un balisage et un équipement de premier choix.
Cependant,
il faut encore relativiser, si on entend par exemple
ce couple de commerçants, habitués à faire des randonnées
chaque année, qui a voulu venir sur ce GR, et qui
depuis s’y est attaché en raison, non pas de ses
équipements, mais parce qu’ils y trouvent une autre
atmosphère et qu’ils deviennent pèlerins.
Comme
le disait l’Abbé Ihidoy, ancien curé de Navarrenx,
à qui on demandait comment il reconnaissait les
pèlerins: "toute personne qui marche sur le
Chemin de Saint Jacques depuis plus d’une semaine
est un pèlerin".
Certains
sportifs de l’extrême sont prêts à faire 40, 50
km ou plus par jour …
Mais
il y a tous les autres, et parmi eux ceux qui ont
été jetés sur le chemin à la suite de deuil ou de
gros accidents de la vie.
Cette
veuve qui vient de perdre dans un accident le grand
fils qui vivait avec elle, et qui croit devenir
folle en tournant dans sa maison. Des amis lui conseillent
de partir sur le chemin, et quand elle arrive
chez nous un mois après, elle peut parler de son
fils sans pleurer …
Cette
mère de famille chez qui les médecins ont découvert
une tumeur au cerveau qui résiste aux traitements.
Quand on lui demande ce qu’elle veut faire du reste
de sa vie, conseillée par des amis et encouragée
par son mari et ses enfants, elle part sur le chemin
pour une première marche d’un mois. Elle repart
l’année suivante, alors que les médecins constatent
que la maladie n’évolue plus, effet de la chimio
qu’elle poursuit ou effet du Chemin ? Notons
qu’elle espère que sa famille viendra avec elle
faire un bout de chemin l’année prochaine.
Cet
homme de 45 ans, atteint de myopathie, et à qui
les médecins ont fait percevoir des échéances dans
l’évolution de sa dégénérescence musculaire. Tant
qu’il le peut, il part sur le chemin, poussant une
bicyclette sans pédale qui porte un bagage qu’il
est lui-même incapable de porter. Il ne serait
sans doute pas capable de relever son vélo si celui-ci
tombait, et il prend soin de partir des gîtes le
premier, pour que ceux qui le suivent puissent l’aider
à se relever s’il n’y arrivait pas seul.
Pour
beaucoup, le chemin est un temps de réflexion sur
le devenir de leur vie.
C’est
vrai de beaucoup de jeunes qui veulent réfléchir
avant de s’engager dans leur vie professionnelle.
Nous ne sommes cependant pas dans la situation de
l’Espagne où, nous dit-on, beaucoup de jeunes vont
faire une centaine de kilomètres sur le chemin pour
le faire apparaître sur leur CV…
On
peut citer le cas de ce fils d’ouvrier suisse qui
s’était juré de devenir riche, et qui l’est devenu
en vendant un très bon prix la société de services
en informatique qu’il avait créée. Sur le chemin,
il réfléchissait à ce qu’il allait faire: créer
une nouvelle entreprise, devenir musicien …
Par
exemple, un gardien de prison, partant relativement
jeune à la retraite, marche sur le chemin pour savoir
ce qu’il va faire de sa vie. Quand il vous annonce
qu’il a l’intention de s’inscrire dans une formation
d’éducateur spécialisé en vue d’agir auprès
des jeunes et d’essayer de leur éviter la prison,
on ne peut qu’y voir un effet de ce temps de réflexion
...
Quand
un comandant de police et un capitaine de gendarmerie
s’interrogent sur l’action de cette association
belge (Oikoten) qui permet à des jeunes de sortir
de prison pour une marche difficile qui leur permettra
la réinsertion, on est loin de l’image donnée par
les médias de ces services de la loi.
Mais
le chemin est essentiellement un lieu d’échanges
et de partage.
Echanges
entre des personnes qui marchent individuellement,
mais qui se retrouvent le soir dans l’un ou l’autre
gîte, s’ouvrant aux autres à travers un repas préparé
en commun.
Cela
nous amène cependant à une réflexion un peu
désabusée sur les groupes constitués, organisés
sur eux-mêmes, et souvent fermés aux autres par
peur de l’aventure. S’il s’agit de préparer ensemble
un voyage, on comprend très bien la mise en
commun des expériences et des compétences. En effet,
un groupe important risque fort de rencontrer des
difficultés de logement, et il faut bien sûr retenir
le logement.
Mais
peuvent surgir aussi des difficultés au sein du
groupe, la fatigue d’une journée de marche amenant
quelquefois des tensions entre les personnes. D’ailleurs,
nous constatons, rarement toutefois, des mouvements
de mauvaise humeur dans la fatigue de l’arrivée,
mais ils s’estompent presque toujours après
un moment ou une nuit de repos. Nous sommes toujours
inquiets quand nous voyons des groupes marcher en
rangs serrés ou presque, arriver tous ensemble au
gîte alors que chacun pourrait aller à son rythme.
Nous
avons vu quelquefois des attitudes surprenantes:
devant la variante d’Aroue, offrant la possibilité
de deux itinéraires plus ou moins longs, plus
ou moins difficiles, et plus ou moins riches en
paysages, le groupe vote pour décider lequel tout
le monde doit prendre, alors qu’il serait si simple
de laisser chacun marcher seul, à son rythme. Il
nous est arrivé de demander comment cela se passait
pour des personnes qui marchaient plus vite, la
réponse est quelquefois venue tout de suite: "Ils
doivent attendre les autres !".
Il
y a aussi l’absence de partage avec les autres personnes
hébergées dans le même gîte. Alors que des personnes
isolées mettent souvent en commun les 250 g de pâtes,
les œufs ou le potage, ou même s’organisent pour
fêter avec les autres un anniversaire de mariage,
le groupe se ferme sur lui-même avec son menu, ses
provisions; il nous est même arrivé, un jour où
nous avions emmené deux petits groupes au même restaurant,
de les voir refuser de se mélanger alors que le
menu était le même pour tous.
Echanges
avec les personnes qui les accueillent, extrêmement
riches pour nous.
Pour
nous cet accueil est très important. Nous ne sommes
pas isolés, puisque nombre de nos enfants et petits
enfants habitent à proximité, et pourtant la venue
des pèlerins est pour nous une fenêtre ouverte sur
le monde qui nous entoure. Lorsqu’en hiver,
il se passe une ou deux semaines sans que personne
ne passe, nous sentons un certain vide. Un moment
au coin du feu, avec quelquefois un verre d’Armagnac,
et ce sont des instants très riches pour tous,
appréciés autant des marcheurs que des accueillants.
Le
fait pour nous d’avoir participé à cette aventure
du chemin, même si ce n’est que sur 200 km, nous
met en condition pour mieux comprendre ceux que
nous accueillons. Cela amène quelquefois des échanges
semblables à ceux des réunions d’anciens combattants.
Nos enfants ou petits enfants, qui ont eu l’occasion
de nous remplacer pour assurer le contact en notre
absence, ont été aussi marqués par ces rencontres,
et nous encouragent à poursuivre cette activité.
Nous
ne sommes plus tout jeunes, ayant dépassé les 70
ans, mais cette activité est un stimulant pour notre
vie. Il ne fait nul doute pour nous que nous poursuivrons
ce service tant que nous le pourrons, car c’est
pour nous une façon de vivre pleinement le chemin
de Compostelle.
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