extrait
du Bulletin n° 51 de l'Association Rhône-Alpes des
Amis de Saint-Jacques
http://www.amis-st-jacques.org
Quelques
rencontres mémorables du Chemin
J’habite
sur le chemin depuis plusieurs années, en face de
l’église du village, et dès le mois de mars, je
vois
passer
une quantité de pèlerins devant chez moi. Cinq d’entre
eux nous ont particulièrement marqués par leur
détermination,
leur courage et leur foi.
La
Sifflette
Un
8 décembre, le village est illuminé de lampions
et il fait un froid de loup. 20 h 30, on frappe
à la porte. Une pèlerine, ne sachant où passer la
nuit, nous demande l’hospitalité. Elle n’a pas d’argent.
C’est Arlette, petite bonne femme suisse de 60 ans,
récemment convertie au catholicisme. Elle fait le
chemin et s’en remet
totalement
à la divine Providence : "Je suis branchée
là-haut ! " nous avoue-t-elle dans la soirée.
Elle a
attendu
une heure dans l’église, située en face de la maison,
avant de se décider à frapper. Et si, selon la coutume,
les pèlerins quittent leurs vêtements au Finisterre
comme une vieille peau de mue, Arlette a devancé
la coutume, donné tous ses vêtements, et de bonnes
âmes l’ont "renippée" de pied en cap au
Secours Catholique. Son sac, un vieux Lafuma en
toile marron des années 50, semble bien léger pour
un périple pareil !
Après
s’être douchée et restaurée, nous avons parlé toute
la soirée, échanges pleins de croyances et d’émotion.
Elle oeuvrait pour Caritas International en utilisant
ses talents de siffleuse. La nature l’avait dotée
de ce qu’on appelle "les dents du bonheur"
(les deux incisives du haut écartées), ce qui lui
permettait de siffler comme un merle entre ses dents.
Tout un art ! Elle sifflait dans la rue comme on
"fait la manche", et donnait l’argent
à Caritas. Sa personnalité et son succès avaient
fait l’objet de plusieurs articles de journaux.
Nous étions malgré tout un peu perplexes, jusqu’au
moment où elle a sorti de son maigre sac un CD qu’elle
avait enregistré, et dont les fonds étaient versés
à Caritas. Nous avons écouté, puis chanté et sifflé
toute la soirée, car nous connaissions la plupart
des chants. Le lendemain matin, elle est repartie
dans le froid, comme elle était venue, sans vouloir
de provisions.
Huit
mois plus tard, une lettre.... Elle avait fait le
pèlerinage aller-retour à pied, et nous invitait
à sa confirmation en Suisse. Nous avons acheté son
CD, et c’est toujours avec une certaine émotion
que nous l’écoutons, "la Sifflette !".
Véronique
Elle
a frappé à la porte vers midi, un jour d’été. Elle
est Suisse, elle a 27 ans, et marche avec deux béquilles
pour
aller jusqu’à Santiago. "Mes béquilles se sont
déglinguées en route, et quand je passe, le bruit
fait japper tous les chiens", nous dit-elle
en riant. Elle me demande si je peux resserrer les
boulons.
A
la suite d’un accident de voiture, elle s’est retrouvée
en fauteuil roulant. A force de volonté, elle a
réussi à se relever, à marcher avec des béquilles.
A la suite d’une émission sur le chemin de Compostelle,
elle a décidé de partir à son tour: son objectif:
Genève-Le Puy, 350 km avec une moyenne de 8 km par
jour.
Nous
avons reçu une carte du Puy-en-Velay, nous disant
que "ses béquilles auraient bien continué,
mais que ses jambes ne voulaient plus ! ".
Pèlerin
anonyme
En
mai d’une autre année, nous avons eu en début d’après-midi
la visite d’un pèlerin français. Dans les premiers
jours de son périple, il est tombé, s’est fait une
plaie à la tête, et s’est retrouvé à l’hôpital.
Sorti le matin même de l’hôpital, il repart sur
le chemin, mais s’arrête un moment chez nous, n’ayant
plus du tout le moral pour continuer.
Devant
un verre de sirop, il nous fait part de son angoisse
et de sa peur de partir seul. Son fils est décédé
dans des circonstances difficiles, quelque temps
auparavant; ils devaient partir ensemble. Il a décidé
de partir seul, faire le chemin pour lui. Après
deux bonnes heures de discussion, sa détermination
d’arrêter le chemin est un peu ébranlée. Il doit
dormir dans un accueil jacquaire du village; l’écoute
et le réconfort sont là, également. Le lendemain
matin, il "pleut des cordes". Je le vois
passer, enfoui sous son poncho. Il ne m’a pas vu,
je ne l’ai pas interpellé.
Trois
mois après, nous avons reçu une carte de Compostelle.
Il était arrivé; la boucle était bouclée.
Wolfgang
Un
soir de fin septembre, en allant fermer l’église,
je trouve allongé sur les marches un pèlerin allemand
de
Nuremberg,
parlant un français impeccable. Il me demande si
je n’ai pas un tampon pour sa crédential. Tout en
lui tamponnant son carnet, je lui demande où il
va dormir. Il répond qu’il dort à côté des églises,
car il a peu d’argent et se sent protégé. Ne pouvant
le laisser ainsi, je l’invite à la maison.
Lorsqu’il
se lève, je reste sans voix, stupéfait et abasourdi
de voir que ce géant n’a qu’une seule jambe. Unijambiste,
il marche avec deux béquilles, et porte un sac de
plus de 20 kg. Ses mains et ses aisselles ne sont
plus que callosités, et le font terriblement souffrir.
Il a déjà parcouru 1000 km. Il en reste 1700 avant
d’arriver à Compostelle ! Il pense être à Santiago
à Noël. Nous échangeons nos adresses, il nous donne
celle de sa soeur à Nuremberg.
Toutes
les trois semaines environ, nous recevons une petite
carte de lui; et puis, plus rien. Noël et le jour
de l’an passent. Nous écrivons à sa soeur, et apprenons
qu’il est tombé gravement malade à Burgos; rapatrié
en Allemagne, il est décédé… Il a choisi l’ultime
chemin des étoiles ! Le long de son périple, plusieurs
personnes de l’association l’ont rencontré, accueilli.
Son passage, sa force de caractère et sa foi restent
gravés dans l’esprit de tous.
Pèlerine
anonyme
Novembre
2008…L’hiver et le froid s’annoncent. Je rencontre
devant l’église une pèlerine suisse qui part à
Compostelle.
Je la salue…
Nous
engageons la conversation, et je lui demande pourquoi
elle a choisi cette saison pour partir. Elle me
répond qu’elle est pressée… Je questionne… Elle
vient d’apprendre qu’elle est atteinte d’une tumeur
au cerveau. Les médecins l’ont prévenue que dans
un an, elle serait sans doute hémiplégique. Alors,
avant que cela n’arrive, et tant qu’elle peut marcher,
elle veut faire le Pèlerinage par n’importe quel
temps, car elle n’a plus le temps de choisir sa
saison !
Bernard
Berlioz-Arthaud
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