Extrait
de "Passants de Compostelle" de Jean-Claude
BOURLÈS (Ed.Payot)
Navarrenx....
Accueil par le père Sébastien Ihidoy dans son presbytère.
Bien qu'il s'en défende, c'est l'une des figures
les plus marquantes du chemin français. Novateur,
esprit éclairé, il est l'un des rares à avoir compris,
dès les premiers frémissements du chemin, l'importance
qu'allait retrouver l'aller vers Compostelle. Homme
de franc-parler, au regard malicieux et à l'accent
rocailleux, il est de ce peuple de rudes Basques,
intransigeant pour lui, généreux pour les autres.
A ceux qui déplorent l'absence de l'Eglise sur le
chemin, je dis et répète ces noms associés à ceux
du Rouergue et du Quercy : Jacques d'Arthez, Ihidoy
de Navarrenx, les franciscains de Saint-Palais,
d'autres sûrement dont j'ignore l'existence. Sans
doute avec ces quelques-uns nous sommes loin du
compte, mais au moins ceux-ci sont ils là, présents
et chaleureux, réconfortants par la parole autant
que dans le silence, disponibles malgré l'urgence
d'autres tâches, veilleurs sur le chemin, fenêtre
allumées dans la nuit.
"C'est
vrai que pour les gens, vous qui passez, les pèlerins,
vous êtes fort. Et pourquoi ? Parce que vous êtes
capables de partir, comme cela, en abandonnant tout.
Nous, on est là, autour de notre petite vie, et
vous, vous êtes des hommes et des femmes de grands
moments. Vous réveillez en nous des choses pour
lesquelles nous sommes faits et que nous réaliserons
jamais. Chacun est fait pour l'aventure humaine,
mais combien la vivent ? Les gens qui voient passer
sont envieux de votre capacité à exposer votre faiblesse,
et paradoxalement n'est pas là justement votre force
? Paul nous dit :"Je porte une écharde dans
ma chair." On ne sait pas de quoi il s'agit.
"Par trois fois, j'ai supplié le Seigneur de
m'en délivrer, et il m'a répondu : 'Ma grâce te
suffit.' Eh bien, si je continue de marcher, la
force de Dieu agit dans ma faiblesse." L'écharde,
il l'a toujours, mais il fait avec et poursuit sa
vie, donc son chemin.
"Je
me demande si la société actuelle n'a pas besoin
de ces types qui passent, pèlerins et chemineaux.
Pour moi, pas de différence, je ne raisonne pas
en termes de jugement. Un pèlerin recommandé par
ses instances, son carnet, son évêque, et même le
serait-il par le pape, que cela ne changerait rien,
je le considère et considérerai toujours dans et
pour son cheminement. Sans être sûr d'ailleurs qu'il
soit meilleur pèlerin qu'un autre. Mais ai-je besoin
de certitudes ? Bien sûr que non, ou alors je juge.
Et comment juger ? Vous pouvez me le dire, vous
? Quelqu'un qui n'a ni travail, ni famille, ni projet
social, et part en se disant : Je vais chercher
une vérité sur ce chemin, celui-là est à mes yeux
un vrai pèlerin. Même s'il l'ignore, ou nomme les
choses autrement. C'est quelqu'un qui a besoin de
faire SON chemin. Le fait qu'il soit capable de
repartir chaque matin, quel que soit le temps, sac
au dos, pour faire ses vingt ou trente kilomètres,
sans savoir ce qui l'attend plus loin, où il dormira,
si même il mangera, prouve que c'est un homme. Et
un homme qui est debout. Profite-t-il des autres
? Pourquoi ne le ferait-il pas ? Soyons sérieux,
dans une société qui laisse tant de gens démunis,
pourquoi lui ne profiterait-il pas chemin et des
structures, dites-moi ? Et j'ajoute que moi qui
suis homme d'Eglise, je lui dois un accueil qui
soit digne de lui. Nous le voyons à chaque page
de l'Evangile, Jésus accueille d'une manière privilégiée
celui à qui personne ne fait attention. Agir de
la sorte va à contresens d'une certaine logique
humaine. Mais il faut accepter d'être à contre-courant
de la société, et même parfois de l'Eglise. La liberté
du croyant est à ce prix.
"Pour
moi, le pèlerin, quel qu'il soit, est toujours un
chercheur. Le chercheur d'une vie plus humaine (c'est
le dénominateur le plus commun), un chercheur de
sens, un chercheur d'étoiles, un chercheur de Dieu
(parfois sans le savoir) qui, pour trouver sa part
de vérité, prend des risques dans un époque où l'on
fait tout pour nous protéger, nous garantir, jusqu'à
l'asphyxie. Démarche à contresens, démarche absolue,
comment voulez-vous qu'il soit toujours bien compris
? Les pèlerins, je vais vous dire que je les reconnais
au premier coup d'oeil, dans la rue, dans un groupe,
sans sac, bourdon ou insigne, changés, douchés,
propres comme des touristes. Je sais que ce ne sont
pas des touristes, ni des randonneurs, mais des
pèlerins. Je les reconnais, oui. Dans l'église,
samedi dernier, il y en avait trois. Je les ai découverts
dans la foule, rien qu'aux regards. Les pèlerins
ont le regard qui irradie. C'est incontestable.
D'autres vous le diront. Non pas le regard brûlé
par le soleil ou la fatigue, non, un regard d'ailleurs.
Ils irradient. Pourquoi ? Alors là... Sans doute
ont-ils en eux une petite étoile. Parce que quelqu'un
qui marche comme le pèlerin possède forcément en
lui quelques rayons de l'étoile qu'il est en train
de chercher. Et c'est cette parcelle d'étoile qui
brille dans leurs yeux.
"J'ai
reçu beaucoup de pèlerins. Je Les ai écoutés. J'ai
beaucoup appris, et j'aimerais que mes paroissiens
bénéficient de cette richesse. Le passage des pèlerins,
c'est comme dans un fleuve les courants profonds.
Ceux que l'on ne voit pas, mais qui entraînent la
masse du fleuve. Un courant qui annonce, peut-être,
du moins je l'espère, une modification profonde
de la société de demain. Pour moi, le renouveau
de ce pèlerinage est un signe prometteur avec lequel
l'Eglise aurait intérêt à se trouver plus en phase.
Elle gagnerait à ouvrir ses portes et son coeur,
à considérer les pèlerins comme des pionniers. Puisque
comme le dit Jean-Paul II, "la route fondamentale
de l'Eglise, c'est l'Homme", pour l'Eglise
délaisserait-elle ce chemin historique qui a façonné
notre culture et qui trace aujourd'hui - pourquoi
pas - la société de demain ?"
Père
Sébastien Ihidoy, Navarrenx
retour à Q.Culture spirit |