LE
DEVOIR ET LE PRIVILÈGE D'ACCUEILLIR
par
l'abbé Sébastien Ihidoy, anciennement curé de Navarrenx,
actuellement curé à Mauléon-Soule.
(extrait
de la revue "le Bourdon", bulletin périodique
de liaison des associations des Amis de Saint Jacques
en Aquitaine)
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L'abbé
Sébastien IHIDOY, alors curé de Navarrenx, a représenté,
pour beaucoup de ceux qui ont cheminé sur le chemin
de Saint-Jacques venant du Puy, l'âme du Chemin. Nous
avons été heureux de lui ouvrir nos colonnes.
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"On
m'a proposé d'écrire un petit mot sur l'accueil. Je
le fais volontiers en pensant à tous les visages que
j'ai rencontrés et qui m'ont apporté plus que je n'ai
pu leur donner.
En
arrivant à Navarrenx en 1981, je ne savais pas que la
Providence m'avait placé sur le Chemin de Saint Jacques
de Compostelle. Les pèlerins se sont, d'abord, présentés
au compte-gouttes. Je les ai reçus, simplement comme
je le fais pour les paroissiens. L'accueil n'est il
pas un devoir sacré pour tout un chacun? Et quand on
a de la place, comment refuser d'ouvrir la porte à des
gens qui ont fait 30 kilomètres à pied, sac au dos,
par tous les temps?
J'ai
perçu d'emblée la richesse qu'ils portaient en eux,
la quête humaine, parfois spirituelle, qu'ils exprimaient.
Le nombre a augmenté d'année en année pour atteindre
les chiffres que l'on sait.
Nous
sommes devant un véritable phénomène de société: des
hommes, des femmes, des jeunes, des anciens, de tous
pays: Hollandais, Suisses, Belges, Allemands, Autrichiens,
quelques Américains, des Français bien sûr, faisant
route dans la même direction, à l'instar des siècles
lointains, en quête d'une Etoile donnant un sens à leur
vie.
Il
me serait agréable ici de brosser quelques portraits-type
de pèlerins. Mais cela m'amènerait trop loin. Je me
contente de les mentionner.
Il
y a l'ancien qui a accompli tout un parcours familial
et professionnel, et qui veut rendre grâce pour tous
les bienfaits reçus. Parfois il a une grâce à demander
pour un de ses enfants ou petits-enfants.
Il
y a le jeune adulte engagé jusqu'au cou dans la vie
professionnelle, souvent cadre, débordé de travail et
de voyages d'affaires, bousculé dans sa vie familiale,
et qui part avec cette question: n'y a t il pas moyen
de trouver une vie plus humaine?
Il
y a le jeune qui vient d'achever ses études, et qui
prend de la distance avant d'aborder la vie active.
Il
y a l'artiste, soit de musique, soit de peinture, soit
de sculpture, qui va à la recherche de lui-même comme
d'une inspiration dans les profondeurs et au-delà de
soi.
Il
y a le médecin, le pharmacien, le professeur, l'architecte,
qui veulent regarder les besoins de l'homme d'aujourd'hui
, au-delà de leur pratique quotidienne.
Il
en est bien d'autres au milieu, ouvriers, fonctionnaires,
qui veulent repenser leur vie.
Il
y a enfin le chômeur, et celui qui a du mal à se situer
dans la société actuelle, sans compter les jeunes couples
qui testent, sur le Chemin, la solidité de leurs amour.
Bref,
ce sont toutes les facettes de notre société qui se
reflètent sur le Chemin comme dans un miroir grossissant.
Alors
je vous le demande: comment ne pas accueillir? Comment
ne pas être à l'écoute? Comment ne pas partager leurs
questions et leur quête? Comment ne pas être leur partenaire
et leur complice? Le peu de temps qu'on leur donne est
sublime. Derrière chaque visage, il y a quelque chose
d'unique à recevoir. Je disais qu'accueillir est un
devoir. C'est bien plus, une chance, un privilège.
Ici,
je ne vais pas éluder la question: Ne faut-il pas distinguer
les vrais pèlerins et les faux pèlerins?
A
cette question je réponds d'abord, par une autre: Qui
peut juger?
C'est
vrai que les motivations des uns et des autres sont
extrêmement variées.
On
trouve des pèlerins guidés par l'Etoile de la foi et
qui vont, comme François d'Assise, chantant le vent,
la pluie et le soleil. Ils ont la liberté intérieure.
Leur souffle balaye nos pesanteurs.
On
trouve, également, de nombreux pèlerins en quête d'une
vie plus humaine. C'est peut-être la motivation la plus
commune. J'admire l'authenticité de leur recherche.
Et dire que Dieu, en Jésus-Christ, a pris le chemin
de l'homme pour nous rejoindre! !
Il
en est d'autres qui sont guidés par des préoccupations
culturelles, touristiques, sportives, mais sont très
sensibles à la dimension spirituelle de Chemin.
C'est
vrai, aussi, que l'on trouve sur le Chemin des gens
qui sont plus randonneurs que pèlerins. Et ils le disent.
Mais combien après avoir commencé le trajet en marcheurs
le terminent en pèlerins ! J'en ai de nombreux témoignages.
Quoiqu'il en soit, tout le monde a droit au Chemin.
Il
en est dont on se demande s'ils sont vagabonds ou pèlerins.
Ils sont rares. Mais, même s'ils le sont
(vagabonds),
pourquoi poser sur eux un regard condamnateur et excluant?
Personnellement, je leur fais
confiance
et je les encourage à faire le Chemin sérieusement avec
toutes les exigences qui s'y rattachent. On
y
rencontre des générosités admirables. .
Il
y a ,enfin, des athées déclarés. Vous allez me dire:
que font-ils sur le Chemin de St Jacques? Je crois
pouvoir
répondre en résumé: ils cherchent une vie plus authentique.
Je sais que "Dieu est à l'horizon des
recherches
de vie authentique". Je les accueille avec infiniment
de respect et d'amitié.
A
l'appui de tout ce que viens de dire quant au jugement
sur les vrais ou les faux pèlerins, je veux apporter
cet exemple vécu. Un soir, un jeune couple belge, avec
un chien noir, font halte chez moi. Tous les deux sont
chômeurs. Après avoir sympathisé avec eux, et avant
d'écrire un petit mot sur leur "Credential"
et de le tamponner, je leur demande: qu'est-ce que vous
cherchez sur le Chemin? C'est elle qui me répondit,
et je n'oublierai jamais l'expression de son visage
en prononçant textuellement ces mots:
"Nous
cherchons:
-
un peu de force, nous sommes fragiles...
-
un peu de stabilité, nous n'avons pas de travail...
-
un peu d'équilibre, nous avons du mal à gérer notre
vie...".
Il
y avait là un autre couple plus ancien, un pasteur protestant
et sa femme, médecin. Nos regards se sont croisés, non
sans émotion, et celui du pasteur me disait: "Voilà
les vrais pèlerins".
Je
voudrais tellement qu'on cesse de juger les bons et
les mauvais pèlerins. Ce n'est pas de la naïveté? C'est
du réalisme. Permettons à chacun, en faisant le Chemin,
de faire son chemin.
Les
associations qui parrainent ont un grand rôle à jouer
pour informer et situer chacun dans sa démarche, ainsi
que pour canaliser le mouvement. Leur action, à mon
sens , doit se porter sur une responsabilisation des
futurs pèlerins, les aider à s'accomplir dans la démarche
qu'ils entreprennent, et leur expliquer que si le Chemin
va beaucoup leur donner, eux aussi, sur ce Chemin, ont
des devoirs. Mais nous sommes dans une société éclatée.
Il faudra, par les temps qui courent, accueillir largement
ceux qui échappent à nos structures habituelles et à
nos schémas de pensée.
J'émets
un dernier souhait. Le passage des pèlerins est une
richesse, sur le plan humain, culturel et spirituel
.Tout le monde devrait en profiter. Je souhaite qu'au-delà
de ceux qui sont préposés à l'accueil, il y ait un échange
entre la population locale et ceux qui passent. Je vois
l'ébauche d'une société plus humaine et plus fraternelle
à l'aube du 3 ème millénaire.
Permettez
que je termine par une évocation biblique. Abraham est
assis à l'entrée de sa tente, sous le chêne de Mambré,
au plus chaud du jour. Trois visiteurs s'approchent.
Abraham les accueille à la mode orientale, c'est à dire
royalement. A travers ces étrangers, il a l'intuition
d'accueillir Dieu. Il ne se trompe pas. La fécondité
lui est promise et donnée, celle "d'un peuple aussi
nombreux que les étoiles du ciel". Aujourd'hui,
des pèlerins, sur le Chemin de Saint-Jacques, passent
parmi nous. Ne manquons pas le rendez vous. Leur rencontre
est source de fécondité pour tous."
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