LE
CHEMIN DE SAINT-JACQUES : CHANCE POUR PROPOSER L’EVANGILE
par
Mgr
Bernard HOUSSET , Evêque de Montauban
À
la demande de l'Association des Amis du Chemin de Saint-Jacques
d'Estella, Mgr HOUSSET a donné, dans cette ville de
la Navarre espagnole, une conférence sur le thème suivant:
"Randonneurs ou pèlerins? Attentes spirituelles
sur le Chemin". (Estella le 24 juillet 2001)
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Mgr
Bernard HOUSSET a commencé par rappeler les liens étroits
qui l'unissent au Chemin de Compostelle.
Il
est en effet né à Saint Jean Pied de Port. Il a présenté
quelques statistiques qui indiquent la fréquentation
croissante de ce "premier itinéraire culturel européen".
Puis, après avoir cité de nombreux témoignages de pèlerins,
il a développé les analyses et convictions suivantes
dont nous communiquons de larges extraits.
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Ces témoignages sont suffisamment explicites pour ne
pas mettre en cause l'évidence suivante: parmi les randonneurs
et touristes se trouvent des pèlerins, d'authentiques
pèlerins. Inutile de chercher des précisions statistiques:
Dieu seul sonde les reins et les cœurs! D'autant que
les mêmes peuvent être à la fois intéressés par le sport,
la culture et la spiritualité. D'autant aussi qu'en
avançant sur le chemin - c'est précisément sa magie
selon certains, sa grâce comme d'autres en témoignent
- les questions existentielles peuvent se poser et la
recherche spirituelle se déclencher, auxquelles la foi
chrétienne apporte ses réponses irremplaçables.
Voyons
à partir de quelques traits caractéristiques du Chemin
comment cette proposition de l'Evangile se fait et peut
continuer de se faire.
-
1. C'est avant tout un chemin de liberté.
On
y vient car c'est un itinéraire où l'on est libre. On
va où l'on veut, à son rythme, on s'arrête quand on
veut. Ce sentiment exprime tout à fait la mentalité
actuelle où l'on revendique sa liberté à tout prix.
Ce qui motive aujourd'hui, c'est vraiment de pouvoir
réaliser ses envies, ses désirs. L'expression "j'ai
envie" revient souvent dans les motivations des
marcheurs du Chemin.
Ce
qui est intéressant à noter, c'est que la recherche
de cette liberté ne se confond pas avec l'anarchie,
comme dans d'autres réalités de la société actuelle.
Il y a un certain nombre de valeurs que les marcheurs
mettent en pratique, par exemple le respect de l'autre
et des lieux (laisser le gîte propre), la volonté que
chacun trouve une place, la convivialité et la chaleur
humaine dans les relations, soit sur les parcours, soit
dans les étapes.
La
première attitude pastorale va donc de soi. L'Église
catholique ne cherche pas à s'accaparer le Chemin, même
si la source fondamentale de celui-ci reste chrétienne.
La situation est d'ailleurs différente en Espagne, l'esprit
pèlerin semble prédominer, c'est un chemin de chrétiens
qui accueille des non-chrétiens. Par contre, en France,
on parle surtout d'un chemin de randonnée (le GR 65)
qui accueille des chrétiens.
L’Eglise
ne tient pas à canaliser, centraliser, récupérer quoi
que ce soit. Nous rejoignons là une des convictions
que nous, évêques, avons affirmées dans notre Lettre
aux catholiques, parue en 1996. Nous sommes à l'aise
dans la société française actuelle, marquée par la laïcité
et le pluralisme. Nous respectons les convictions de
chacun et ne cherchons à régenter personne. Et le fait
que nous exprimions nos convictions ne signifie pas
que nous prétendions les imposer.
-
2. Le Chemin permet aussi de se mettre en route.
C'est-à-dire,
au sens figuré, de sortir de soi, de quitter des habitudes,
de dépasser l'existence ordinaire.
C'est
la fameuse parabole d'Antoine de Saint-Exupéry dans
Terre des Hommes. "Quand passent les canards sauvages
à l'époque des migrations, ils provoquent de curieuses
marées sur les territoires qu'ils dominent. Les canards
domestiques, comme attirés par le grand vol triangulaire
amorcent un bond inhabile... Voilà que, dans cette petite
tête dure où circulaient d'humbles Images de mares,
de vers, de poulaillers, se développent les étendues
continentales, le goût des vents du large et la géographie
des mers". (Ed.. La Pléiade).
On
peut dire qu'après des siècles de sédentarité, les Occidentaux
redécouvrent la mobilité. Les migrations touristiques
en fournissent par ailleurs une illustration frappante.
Durant les premiers siècles de l'Église, les chrétiens
se sont mis en route vers Jérusalem, puis le pèlerinage
de Rome est devenu de plus en plus important. Depuis
mille ans, avec des périodes de splendeur et d'abandon,
le Chemin de Compostelle a également pris sa place.
Mais elle est tout à fait originale car, parmi tous
les pèlerinages chrétiens actuels, le "camino"
est vraiment unique, puisque les pèlerinages de Rome,
de Jérusalem ou de Lourdes ne s'accomplissent pas à
pied […].
Etymologiquement
le mot pèlerin signifie le voyageur, celui qui passe
c'est-à-dire l'étranger. Et souvent l'étranger dérange,
car il est différent. Comment les sédentaires vont-ils
donc l'accueillir?
La
qualité de l'accueil est essentielle. Je veux parler
de l'accueil chrétien.
Il
doit être tout à fait désintéressé, mais réel. La, où
une présence chrétienne est explicite, la formulation
de la recherche spirituelle et de la foi chrétienne
est explicite. Si les marcheurs sont traités en simples
randonneurs, ils se comporteront comme randonneurs.
S'ils se sentent accueillis en pèlerins, ils réagiront
en pèlerins. Ils parlent d'ailleurs avec émotion et
chaleur humaine de lieux chrétiens qui les ont marqués:
la communauté des moines de Conques, le couple d'Estaing,
les religieuses de Vaylats, les prêtres et les laïcs
de Lectoure et de Navarrenx, etc.
Cet
accueil chrétien explicite se développe, car il permet
aux sédentaires de goûter le passage des pèlerins sur
les plans de la relation humaine, de l'échange culturel,
du partage spirituel dans la réciprocité. Et ce brassage,
nous ne pouvons pas encore en mesurer les effets pour
une nouvelle vitalité de la foi chrétienne et de la
vie en Eglise. Il commence à peine.
-
3. C'est un chemin de guérison possible.
Chacun
de nous porte ses blessures et chacun cherche à les
guérir. Le Chemin permet ainsi de retrouver un certain
équilibre de vie. À commencer par les bienfaits de la
marche, sur le plan physique comme sur le plan mental
et spirituel.
Il
peut y avoir une réconciliation avec soi-même, la marche
facilitant un certain ressourcement physique et intérieur.
C'est une aventure à taille humaine dans laquelle on
se lance. Elle permet de se désencombrer, alors que
nous nous sommes créé trop de besoins artificiels.
Le
Chemin facilite un certain accomplissement, un certain
épanouissement de soi. Mais cette aventure ne se fait
pas au détriment des autres, en marchant sur les autres,
à la différence de la plupart des situations professionnelles.
Elle permet de se pacifier soi-même et de développer
une relation de paix avec les autres marcheurs.
Bref,
le Chemin - c'est l'expérience de beaucoup - permet
une renaissance de soi-même ou une "nouvelle naissance",
au lieu de rester étranger à soi, une renaissance à
sa véritable identité.
Ainsi
le Christ peut-il être explicitement proposé, lui "qui
est venu guérir et sauver tous les hommes". Certes
il importe d'abord de beaucoup écouter avant de proposer
le témoignage de sa propre foi au moment opportun, d'écouter
les personnes exprimer leurs appels à la vraie vie au-delà
des besoins vitaux indispensables.
Mais,
après le temps de l'écoute, vient celui de l'annonce
ou du témoignage. Car il y a une demande souvent inconsciente
et s'il est important d'écouter, il est important aussi
de répondre à l'attente. D'autant que les passants l'expriment
plus facilement que les sédentaires, puisqu'ils savent
qu'ils ne reverront pas leur interlocuteur. Il est indispensable
que des lieux d'accueil s'affichent vraiment comme chrétiens,
sans prétention je le répète. Viendra qui voudra dans
ces accueils pour une écoute spirituelle, un temps d'échange
et éventuellement de célébration [....]
Reconnaître
l'attente spirituelle, ce n'est pas récupérer, ni contraindre
la liberté du marcheur. Plusieurs témoignages m'ont
été donnés que les marcheurs ordinaires, même s'ils
n'ont pas de liens réguliers avec l'Église catholique,
aiment, par exemple, qu'on les bénisse à la fin d'une
messe.
L'Evangile
nous fournit ici une pédagogie de la proposition jamais
dépassée.
Particulièrement
Jean. 1. 35-39. Le Christ pose la question à deux disciples
de Jean-Baptiste: "que cherchez-vous ?" et
après leur interrogation: "où demeures-tu maître?
". Il leur répond: "venez et vous verrez".
La foi chrétienne est avant tout l'accueil du Christ
ressuscité et une rencontre avec Lui. Peu à peu, au
fur et à mesure que cette recherche s'approfondit et
que la présence est accueillie, il y a comme un basculement
chez les chercheurs de Dieu. Ils se rendent compte que
si, au départ ils pensaient chercher Dieu, ils découvrent
que c'est Dieu qui les cherche. Progressivement, ils
mettent leurs pas dans les pas du Christ.
Etre
chrétien, c'est vivre pour le Christ et le suivre jusqu'à
trouver sa plénitude Quelques moyens semblent peu à
peu être mis au point pour cette proposition du Christ:
-
des églises ouvertes;
-
des messes priantes dans un climat cordial;
-
des rencontres détendues autour d'une table (l'accueil
des religieuses de Vaylats est réputé pour la qualité
de la soupe et des échanges);
-
un document simple qui présenterait l'essentiel de la
démarche chrétienne;
-
des sites d'écoute sur Internet (à Lourdes, 45000 demandes
sont ouvertes sur le WEB d'information et de prière)...
Un
directeur de pèlerinage, je n'ai jamais oublié sa boutade,
m'a dit, il y a bien longtemps: "la foi au Christ
rentre par les pieds". Il est bien vrai que le
Christ est le Chemin, la Vérité, la Vie. C'est par lui
et lui seul que nous pouvons être guéris de nos blessures,
être sauvés et trouver la plénitude de Dieu comme notre
plénitude humaine. L'affirmation du philosophe Pascal
est toujours vraie: "nous ne connaissons Dieu que
par Jésus-Christ et non seulement nous ne connaissons
Dieu que par Jésus-Christ mais nous ne nous connaissons
nous-mêmes que par Jésus-Christ" (Pascal, pensées
547 et 548).
-
4. Le Chemin, enfin, est l'une des expressions du
génie européen.
Chacun
connaît le mot de Goethe selon lequel la conscience
européenne s'est forgée grâce au pèlerinage de Saint-Jacques.
Ce n'est pas sans raisons que le Conseil de l'Europe
a déclaré le Camino comme premier itinéraire culturel,
car il contient un patrimoine artistique considérable.
Comme le pape le rappelait lors de sa première venue
à Santiago en 1982.Le Camino a ainsi réalisé entre des
races et des peuples différents une mentalité et des
valeurs communes, une solidarité économique et spirituelle
qui permet, après les drames de ces derniers siècles,
d'imaginer avec énergie et espérance la construction
d'une unique maison européenne, maison de famille pourrait-on
dire.
La
beauté peut donc être un chemin de Dieu. D'abord les
beautés de la nature que les citadins redécouvrent mais
aussi les beautés des réalisations artistiques. Comme
l'a dit le cardinal Poupard, en donnant une conférence
à l'occasion des neuf cents ans du cloître de Moissac,
sur la route du Puy: "le langage de l’art sacré
est le message profond du christianisme. Il se propose
sans s’imposer, il se fait humble car la grâce exclue
toute arrogance. C'est le langage du Magnificat, du
serviteur qui se met au service de la beauté, conscient
de n'avoir aucun droit sur elle. La beauté est splendeur
et rayonnement, seule sa source la contient en totalité.
La beauté ne s'emprisonne pas, ni ne se retient. Elle
n'est pas la propriété de personne et se donne à tous".
Des
équipes de bénévoles se multiplient en France. dans
des églises, des abbayes et des basiliques, pour faire
découvrir que le Christ révèle la beauté éternelle du
Père dans le don de son Esprit.
Vous
ai-je communiqué mon enthousiasme? En tous cas, je suis
de plus en plus persuadé, dans ma conscience d'évêque,
que le succès du Chemin préfigure un nouvel élan spirituel.
Notre église catholique ne ressemble-t-elle pas parfois
à un vieil olivier qui semblait stérile? A un moment
donné, il est capable de resurgir plus verdoyant et
fertile que jamais. Grâce à l'Esprit du Christ Ressuscité,
notre Chemin Eternel."
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