LE
PELLERIN SPIRITUEL DE SAINT-JACQUES
texte
du livre de la Confrérie de Senlis
Sus,
dites-nous vostre voiage
O
chers amans,
Dites
vostre pellerinage
Et
vos tourmens.
Pris
au pays de l'oraison.
Vos
aventures,
Sont
l'entretien délicieux
Des
âmes les plus pures.
1.
Hélas ! comment pourions-nous dire
Tous
nos travaux,
Portés
avec un long martyre
Par
monts et vaux.
Suivant
toujours le bon Jésus
En
sa souffrance,
Pour
l'imiter il faut grand cœur
Et
grande patience.
2.
Sachez donc que nostre équipage
Dans
ce chemin,
C'est
de n'avoir point de bagage,
Ni
pain ni vin.
Le
seul amour sert de renfort ;
La
seule escorte,
C'est
le bon Jésus et sa croix
Le
bâton qui nous porte.
3.
Pendant les premières journées
Que
de douceurs !
Nos
âmes n'estoient estonnées
Par
ces rig[u]eurs.
Tousjours
beau temps, belle fraicheur
Bonne
retraite,
Chacun
de nous croioit bientost
Veoir
sa besongne faite.
4.
Mais quand nous fumes dans la voye
De
la vertu,
L'esprit
remply de tant de joye
Fust
abatu.
Tant
de deffaux de toutes parts,
Tant
de misères,
Nous
firent veoir que nous n'estions
Au
bout de nos affaires.
5.
Pourtant on donne confiance
Dans
ce sentier,
On
y monstre l'obéissance
D'un
coeur entier.
A
dompter tous ses sentiments.
La
nouriture,
C'est
de suivre tousjours l'esprit
Et
jamais la nature.
6.
Nous trouvames un monastère
Fort
à l'escart,
Dans
lequel un bon solitaire
Nous
pris à part.
Et
nous dit ce qu'on [n']aprend point
Dans
les escolles,
Le
sens en est grand et profond
En
voicy les parolles.
7.
Le bon pellerin fait service
Sans
intérest,
Il
ne prend point son exercice
Dans
ce quy plaist.
Faire
beaucoup et parler peu
C'est
sa devise,
Mourir
à, soy pour vivre à Dieu
C'est
sa grande entreprise.
8.
Pratiquer une vie austère
C'est
son désir,
Endurer
du mal et s'en taire.
C'est
son plaisir.
N'avoir
aucun soulagement
Sont
ses richesses,
Assujettir
ses appétits,
Sont
ses grandes prouesses.
9.
Dans son chemin il doibt combatre
A
chaque pas,
Et
pourtant jamais ne s'abatre,
Quand
il est las.
Il
doit porter jusques au ciel
Son
espérance,
Avoir
grand amour pour autruy
Pour
soy grande oubliance.
10.
Quoy qu'il aime la solitude,
Ce
n'est pour soy,
Il
fait son principal estude
De
vivre en foy.
Servir
autruy sans nul retour
Sont
ses délices,
Son
employ, la nuit et le jour,
Faire
la guerre aux vices.
11.
Marchant sur une terre aride,
Quoy
qu'il soit las,
Jamais
pourtant il n'est avide
D'aucuns
soulas.
Mais
il regarde à tous momens
La
Providence,
Se
soumetant à son Seigneur
En
grande dépendance.
12.
Il est tout simple et débonnaire
Tousjours
sans fard,
Il
ne veut point se satisfaire,
Il
vit sans art.
Sy
l'on dispute avec luy,
Tousjours
il cedde,
Ainsy
son coeur un grand repos
En
ce monde possède.
13.Jamais
de soy mesme il n'ordonne.
Aymant
la croix,
Mais
il prend tout ce qu'on luy donne
Sans
aucun choix..
Il
est égal et vit content
Dans
les injures,
Prenant
de Dieu, comme il luy plaist
Différentes
postures.
14.
Quelque excellance quy l'eslève,
Il
est petit ;
Il
ne prend, pour quoy qu'il achève,
Aucun
crédit.
Quand
il serolt en saineteté
Comme
un apostre,
Sans
faste et sans aucun esclat
Il
paroist comme un autre.
15.
Ce pellerin fait bon voiage
Jusques
au ciel,
Il
a toujours cet avantage
D'estre
sans fiel.
Ignorer
tout plaisir mondain
C'est
sa science,
Obéir
jusques à la mort
Sa
plus grande deffence.
16.Ce
chemin, quoyque difficile
Et
fort estroit,
Mène
pourtant l'âme docile
A
Dieu tout droit.
Pourvu
qu'on ayt l'humilité
Et
la constance,
Le
premier point du pellerin
C'est
la persévérance.
17.
Quand nous fusmes dans la campagne,
De
l'oraison,
Nous
aperceusme la montagne
Et
la maison.
Du
saint repos, O doux séjour,
Terre
chérie,
Où
sont avec vous tous les saints,
Et
Jésus et Marie.
18.
Quand nous fusmes dans la demeure
Du
sainct repos,
On
nous fist bien atendre une heure
Fort
à propos.
Nous
y fusmes fort bien receus
Dieu
m'anntchriste,
Quy
nous dit : lcy, mes enffans,
On
ne va guère viste.
19.
Nous y fismes longues prières,
Mais
sans ennuy,
Dieu
nous tenait les nuits entières
Avec
Iuy.
Sans
nul destour, nous retenant
En
sa présence
Par
un regard très amoureux,
En
simple jouissance.
20.
On apprend là, dans le silence
Et
dans la nuict,
Une
merveilleuze science
A
petit bruit.
Dans
un sy savoureux repos,
La
sapience,
Donne
de ses profonds secrets
La
haute intelligence.
21.
Quand nous fusme dedans les Landes,
Hélas!
mon Dieu,
Que
nos fatigues furent grandes.
Dedans
ce lieu.
Les
fiers démons nous y vouloient
Faire
grand peine,
Nous
ne trouvions en cet endroit
Ny
ruisseau ny fontaine.
22.
Nous y fismes longue carrière
Sans
trouver rien,
Nous
pensions retourner arrière
Pour
estre bien.
Et
ne trouvant dans tous nos sens
Qu'un
fort grand vide,
Nous
revenions dessus nos pas
N'eust
esté nostre guide.
23.
Icy l'ame estant appauvrie
Pour
Jésus-Christ,
Quoy
que contre elle l'Enfer crie
Croist
en esprit.
Se
soutenant dedans la foy
Par
une oeuillade,
Quy
vient d'un coeur quy n'est jamais
Ny
foible, ny malade.
24.
Elle ne porte dans sa veüe
Que
pauvreté,
Sans
estre pourtant despourveüe
De
vérité.
Le
cœur pieux en cet endroit
Prenant
sa force,
Quitte
le monde tout de bon
Et
meurt à son amorce.
25.
Quand nous fusmes dans les montagnes.
Que
de frayeurs,
Quy
venoient estre nos compagnes
Et
que d'horreurs.
Nous
ne voions de tous costez
Que
précipices,
Nos
esprits estoient attaquez
Des
plus noires malices.
26.
II sembloit que mille tempestes
Du
désespoir,
Venoient
fondre dessus nos testes
Matin
et soir.
Mais
nous donnions à nostre Dieu
Mille
louanges,
Et
nous sentions à nos costez
Le
secours des bons anges.
27.
Nostre âme estoit fort désolée,
Marchant
tousjours,
Jusques
aux enfers ravalée
Et
sans secours.
Il
luy sembloit même que Dieu
Luv
fust contraire,
Et
ne trouvoit dans ses travaux
Le
respit nécessaire.
28.
Quand nous fusmes au Pont qui tremble,
De
tous costés,
Les
démons s'en venoient ensemble
Tous
appostés.
Pensans
nous faire tout à fait
Perdre
courage,
Mais
fust alors qu'on nous apprit
D'en
avoir davantage.
29
En
cet estat l'âme ne treuve
Rien
d'asseuré,
Aussy
le mal de cette espreuve
Bien
enduré.
Cause
des biens que l'on ne peut
Guère
comprendre,
Et
c'est celuy quy les reçoit
Quy
seul les peut entendre.
30.
Quand nous fusmes dedans la plaine
Du
saint repos,
L'eau
de la divine fontaine
Vint
dans nos os,
C'est
icy que les biens du ciel
Coulent
en terre,
Les
pèlerins disent entre eux
Nous
n'aurons plus la guerre.
31.
Quand nous fusmes dedans la ville
Du
sainct amour,
Nous
la trouvasmes sy gentille
Que
nuit et jour.
Nous
ne faisions rien que chanter
En
grande joye,
C'est
où Sathan croit tout de bon
Bientost
perdre sa proye.
32.
Nous trouvasmes dedans les rues
Les
habitans,
Quy
l'esprit au dessus des nues
Vivoient
contans.
Rien
d'icy bas ne les touchoit
Leur
allégresse,
Vient
d un coeur que nul accident
De
ce monde ne presse.
33.
Ils sont tous assis à la table
De
Jésus-Christ,
Leur
estat est fort délectable
Mais
en esprit.
Car
bien souvent icy la croix
Et
le martire,
Sont
plus grands que par ma chanson
Je
ne scaurois descrire.
FIN
------------------------------------------------------
Commentaire
de E. Müller :
"Evidemment,
cette chanson du Pellerin Spirituel dont nos Jacquiers
de Senlis répétaient les nombreuses strophes dans
les bourgs qu'ils traversaient et dans leur église
de Sainte-Geneviève, n'est point un chef-d'œuvre.
Le mysticisme y est raffiné et diffus; la facture
souvent défectueuse; la marche des idées peu capable
d'activer les mouvements des âmes.
Néanmoins
elle n est pas sans intérêt. Outre son caractère
d'inédit, d'inconnu, et son origine probablement
senlisienne, elle aide à apprécier mieux encore
l'esprit de nos pères.
C'est
d'abord le goût des aventures, dont ce n'est pas
le lieu de rappeler ici les résultats aux points
de vue de la géographie, des légendes, des arts,
etc., c'est la dévotion vive aux lieux privilégiés
que le Christ, la Vierge et les Saints ont rendus
particulièrement célèbres: la Terre-Sainte, Rome,
Lorette, Boulogne, Liesse, le mont Saint-Michel,
Saint-Jacques, comme nous le constatons notamment
à Senlis dans les dispositions testamentaires du
chanoine Thomas Louvel (1328), du bourgeois Thomas
Le Fruictier, etc.
C'est
surtout, et cela éclate dans notre chanson, cette
façon symbolique et éminemment religieuse de voir
dans un pèlerinage une image de la marche des âmes
à travers les vicissitudes de la Vie".
retour
à Q.Culture musique
home
|