Frédéric
Mistral : Mireio / Mireille (Chant X ...)
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Cante
uno chato de Prouvènço.
Dins
lis amour de sa jouvènço,
A
travès de la Crau, vers la mar, dins li bla,
Umble
escoulan dóu grand Oumèro,
Iéu
la vole segui. Coume èro
Rèn
qu'uno chato de la terro,
En
foro de la Crau se n'es gaire parla.
Je
chante une jeune fille de Provence.
Dans
les amours de sa jeunesse,
à
travers la Crau, vers la mer, dans les blés,
humble
écolier du grand Homère,
je
veux la suivre. Comme c'était
seulement
une fille de la glèbe,
en
dehors de la Crau, il s'en est peu parlé.
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Emai
soun front noun lusiguèsse
Que
de jouinesso; emai n'aguésse
Ni
diadèmo d'or ni mantèu de Damas,
Vole
qu'en glòri fugue aussado
Coume
uno rèino, e caressado
Pèr
nosto lengo mespresado,
Car
cantan que pèr vautre, o pastre e gènt di mas !
Bien
que son front ne brillât
que
de jeunesse, bien qu'elle n'eût
ni
diadème d'or ni manteau de Damas,
je
veux qu'en gloire, elle soit élevée
comme
une reine, et caressée
par
notre langue méprisée,
car
nous ne chantons que pour vous, ô pâtres et habitants
des mas.
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Chant
X ...
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Assolo-te,
pauro Mirèio:
Sian
li Mario de Judèio !
Assolo-te,
fasien, sian li Santo di Baus !
Assolo-te!
sian li patrouno
De
la barqueto, qu'envirouno
Lou
trigos de la mar furouno,
E
la mar, quand nous vèi, retoumbo leu à paus !
Console-toi,
pauvre Mireille:
nous
sommes les Maries de Judée !
Console-toi,
disaient-elles, nous sommes les Saintes des Baux !
Console-toi,
nous sommes les patronnes
de
l'esquif qu'entoure
le
fracas de la mer furieuse,
et
la mer, à notre aspect, retombe vite au calme.
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Mai,
que ta visto amount s'estaque !
Veses
lou camin de Sant Jaque ?
Adès
i'erian ensèn, alin de l'autre bout;
Regardavian,
dins lis estello ,
Li
proucessioun que van, fidèlo,
En
roumavage à Coumpoustello
Prega,
sus soun toumbèu, noste fiéu e nebout.
Mais
que ta vue là-haut s'attache
Vois-tu
le chemin de Saint Jacques ?
Tantôt
nous y étions ensemble, là-bas à l'autre extrémité;
nous
regardions, dans les étoiles,
les
processions fidèles qui vont
en
pèlerinage à Compostelle,
prier,
sur son tombeau, notre fils et neveu.
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E
'scoutavian li letanio ...
E
lou murmur di fountaniho,
Lon
balans di campano, e lou declin dou jour.
E
li roumiéu pèr la campagno,
Tout
rendié glori, de coumpagno,
A
l'Apoustoli de l'Espagno,
Noste
fiéu e nebout, Sant Jaque-lou-Majour.
Et
nous écoutions les litanies...
et
le murmure des fontaines,
le
branle des cloches, et le déclin du jour,
et
les pèlerins par les champs,
tout
rendait gloire, de concert,
à
l'Apôtre de l'Espagne,
notre
fils et neveu, Saint Jacques-le-Majeur.
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E,
benurouso de la glori
Que
remountavo à sa memori,
Sus
lou front di roumiéu mandavian lou bagnun
Dou
serenau, e dedins l'amo
Ie
vejavian joio e calamo.
Pougnènt
coume de jit de flamo,
Es
alor que vers nautre an mounta ti plagnun.
Et,
bienheureuses de la gloire
qui
remontait à son souvenir,
sur
le front des pèlerins nous épandions la rosée
du
serein, et dans leur âme
nous
versions joie et calme.
Poignantes
comme des jets de flamme,
c'est
alors que vers nous ont monté tes plaintes.
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O
chatouno, ta fe 's di grando;
Mai,
que nous peson ti demando !
Vos
beure, dessenado, i font de l'amour pur !
Dessenado,
avans qu'èstre morto,
Vos
assaja la vido forto
Que
dins Diéu meme nous tresporto !
Dempièi
quouro as avau rescountra lou bonur ?
O
jeune fille, ta foi est des grandes;
mais
que tes demandes nous pèsent !
Tu
veux boire, insensée, aux fontaines de l'amour pur;
insensée,
avant la mort,
tu
veux essayer la forte vie
qui
en Dieu lui-même nous transporte !
Depuis
quand as-tu là-bas rencontré le bonheur ?
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