Pèlerin
de l'Occident
(Paul
Claudel. Le soulier de satin. Deuxième journée,
scène VI)
Pèlerin
de l'Occident,
longtemps
la mer plus profonde que mon bâton
m'a
arrêté sur ce donjon à quatre pans de terre
massive,
Sur
cette rose Atlantique
qui
à l'extrémité du continent primitif
ferme
le vase intérieur de l'Europe
et
chaque soir, suprême vestale,
se
baigne dans le sang du soleil immolé.
Et
c'est là, sur ce môle à demi englouti,
que
j'ai dormi quatorze siècles avec le Christ,
Jusqu'au
jour où je me suis remis en marche
au-devant
de la caravelle de Colomb.
C'est
moi qui le tirais avec un fil de lumière
pendant
qu'un vent mystérieux
soufflait
jour et nuit dans ses voiles,
et
maintenant au ciel,
sans
jamais sortir de l'Espagne,
je
monte ma garde circulaire,
Soit
que le pâtre sur le plateau de Castille
me
vérifie dans la Bible de la Nuit
entre
la Vierge et le Dragon,
Soit
que la vigie me retrouve derrière Ténériffe
déjà
enfoncé dans la mer jusqu'aux épaules.
Moi,
phare entre les deux mondes,
ceux
que l'abîme sépare n'ont qu'à me regarder
pour
se trouver ensemble.
...
Au
sein de la Grande Eau à mes pieds
où
se reflètent mes coquilles
et
dont le sommeil sans heures se sent heurter
à
la fois à l'Afrique et à l'Amérique,
Je
vois les sillons que font deux âmes
qui
se fuient à la fois et se poursuivent
...
Quand
je disparaîtrai à vos yeux,
c'est
pour aller de l'autre côté du monde
pour
vous en rapporter les nouvelles,
et
bientôt je suis de nouveau avec vous pour tout
l'hiver.
Car
bien que j'aie l'air immobile,
je
n'échappe pas un moment
à
cette extase circulaire en quoi je suis abîmé.
Levez
vers moi les yeux,
mes
enfants, vers moi,
le
Grand Apôtre du Firmament,
qui
existe dans cet état de transport.
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delhommeb
at wanadoo.fr - (01/06/2005)
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