suite
de : VALLERY-RADOT
Jean - Eglises romanes. (FRA. Paris, La Renaissance
du Livre. 1931): "filiations et échanges
d'influences". CHAPITRE VI: Les églises
des routes de pèlerinage.
-
Quel prototype ?
Si
toutes ces églises se ressemblent à ce point,
c'est qu'elles décrivent à n'en pas douter d'un
modèle commun, d'un prototype. Quel fut ce prototype?
Pour résoudre le problème, de sérieuses éliminations
chronologiques s'imposent.
Empruntons à ce propos les conclusions de M.
Deschamps (Notes sur la sculpture romane en
Languedoc et dans le nord de l'Espagne, dans
Bull. mon., 1923, p. 305).
L'église
de Conques paraît la plus ancienne et le monument
parvenu jusqu'à nous semble bien être celui
qui fut entrepris par Odolric, dont l'abbatiat
dura environ de 1030 jusqu'à 1065, et achevé
à l'époque de l'abbatiat de Bégon (1087-1107).
L'église
de Saint-Martial de Limoges a été démolie pendant
la Révolution; mais son histoire, son plan et
son élévation
sont également connus. Commencée en 1017, incendiée
en 1053, elle fut reconstruite après ce sinistre
et
consacrée en 1095.
On
s'accorde pour penser que Saint-Sernin de Toulouse
fut commencé aux environs de 1060 et qu'en 1096,
lors de la consécration de l'église, le choeur
et la face orientale du transept étaient achevés.
Le
début de la construction de Saint-Jacques de
Compostelle se place en 1078, mais il semble
que la construction n'ait
guère progressé jusqu'à l'époque à laquelle
Diego Gelmirez fut promu à la dignité épiscopale
(1100). Ce prélat donna aux travaux une vigoureuse
impulsion. En 1105, il consacra les autels des
chapelles rayonnantes, parmi
lesquelles trois étaient dédiés à saint Martin,
à sainte Foy, à sainte Marie-Madeleine, autant
de saints et
de saintes qu'on vénérait à Tours, à Conques,
à Vézelay, trois fameux centres de pèlerinage.
Ainsi
le pèlerin français retrouvait, non sans émotion,
- il est permis de le croire -, au but de son
voyage le souvenir
de quelques-unes des églises qu'il avait saluées
en cours de route dans son pays. Dalmace, un
ancien moine
de Cluny, devenu évêque de Compostelle, avait
consacré à Cluny l'autel de Saint-Jacques, lors
de la première
dédicace. Cette solidarité entre les pèlerinages
les plus illustres de l'époque a quelque chose
de symbolique.
En
1112, le choeur de Saint-Jacques était terminé.
Vers 1120, on travaillait aux dernières travées
de la nef et de la
façade. C'est sur ces données que M. Deschamps
se base pour conclure que la construction de
Saint-Jacques fut
entreprise après celle de Sainte-Foy de Conques,
de Saint-Martial de Limoges et de Saint-Sernin
de Toulouse. Est-ce à dire pour cela que Sainte-Foy
doit être considérée comme un prototype? Cela
n'est guère probable.
-
Saint-Martin de Tours proposé comme prototype.
Il
semble que c'est à Tours que doive être cherché
ce prototype des églises de pèlerinage qui ne
serait autre que la plus célèbre de toutes les
églises de pèlerinage en France, celle de Saint-Martin,
détruite à la Révolution. Cette hypothèse a
été posée avec autant de clarté que d'éloquence
par M. Mâle.
Un texte du XIIe siècle, le Guide
des pèlerins, dont nous avons parlé plus haut,
avait déjà noté les analogies de Saint-Martin
de Tours et de Saint-Jacques de Compostelle.
Le plan a été conservé: il comportait une nef
flanquée de doubles bas côtés comme à Saint-Jacques
de Compostelle et à Saint-Sernin de Toulouse,
un transept flanqué de collatéraux, un choeur
à déambulatoire et à chapelles rayonnantes.
L'élévation nous est connue par un dessin: tribunes
sur bas côtés. "Il devient évident pour
nous, conclut M. Mâle, que Saint-Martin de Tours
ressemblait aux autres grandes églises des routes
de pèlerinage". Cette église serait celle
qu'aurait fait reconstruire le trésorier Hervé
de 997 à 1014 (E. Mâle, L'art religieux du XIIe
siècle en France, p. 299).
-
Propagation du décor arabe en France.
Dans
l'utilisation des routes de pèlerinage pour
la solution de problèmes artistiques, on ne
saurait oublier que la route a deux sens et
qu'elle peut, par conséquent servir à des échanges
d'influence dans l'une et l'autre direction.
On
vient de voir un exemple de ces influences que
les routes de pèlerinage ont pour ainsi dire
canalisées de France
en Espagne. M. Mâle a montré que le même phénomène
pouvait avoir lieu en sens inverse, en étudiant
la façon dont le décor arabe représenté par
deux détails très caractéristiques - l'arc trilobé
et le modillon à copeaux - est remonté d'Espagne
en France pour orner principalement les églises
bordant les routes des pèlerins (Arts et artistes
du moyen âge, p. 70).
Les
modillons ne sont autre chose, comme on le sait,
que les consoles soutenant la tablette de la
corniche. Une certaine variété de modillons
est appelée modillons à copeaux, car ils rappellent
à l'extrémité d'une solive travaillée
par le charpentier. Les rouleaux qui accompagnent
le nerf principal ressemblent aux copeaux produits
par
l'outil du charpentier pour dégager la solive.
Les plus anciens modillons à copeaux se voient
dans les monuments
des Arabes. On en rencontre déjà dans la cour
de la grande mosquée de Kairouan et aussi dans
la célèbre
mosquée de Cordoue. De l'architecture des Arabes,
le modillon à copeaux passa tout naturellement
dans l'art
mozarabe, cet art imité de l'art arabe par les
chrétiens d'Espagne, et de là dans l'architecture
romane française.
Il
y a corrélation évidente entre les dates d'apparition
de ce décor et sa progression du sud au nord:
mosquée de
Cordoue, IXe siècle; églises mozarabes, Xe et
XIe siècles; églises romanes françaises, XIe
et XIIe siècles.
-
Les routes d'Italie.
Si
la conclusion semble décisive du rôle prépondérant
des routes de pèlerinage dans l'échange des
formules artistiques
entre la France et l'Espagne à l'époque romane,
il ne saurait être d'un intérêt médiocre de
suivre également
d'autres routes de pèlerinage et de constater
si cette loi se vérifie aussi ailleurs.
Tentons
cette contre-épreuve sur les routes d'Italie.
Le pèlerinage de Rome ayant toujours été considéré
comme
d'une importance supérieure à celui de Saint-Jacques,
d'autant plus qu'il lui était bien antérieur
et qu'il
se prolongeait pour ainsi dire jusqu'au sud
de la péninsule. c'est-à-dire jusqu'aux ports
d'embarquement pour
la Terre Sainte, on devrait trouver aussi sur
les routes de France en Italie des monuments
de même famille.
Et d'abord, de même qu'en Espagne, où la route
de Compostelle s'appelait le Camino francés,
de même, en Italie, la route vers Rome s'appelait
Strata francigena ou Via francesca. Si la route
de Pampelune était toute embellie
du souvenir des légendes épiques, de même la
route de la Ville Éternelle était toute remplie
de l'évocation des héros carolingiens.
-
Souvenirs épiques en Italie.
Examinons
d'abord le tracé de ces routes tel qu'il nous
est donné par d'anciens itinéraires: ces routes
ne sont autres
que d'anciennes voies romaines. La plus suivie
était la voie Émilienne. "Que l'on vienne,
en effet, du Mont-Cenis
par Suse et Turin, ou du Grand-Saint-Bernard
par Ivrée, la route passait par Pavie et Plaisance
et suivait
la voie Émilienne par Modène et Imola pour franchir
les Apennins vers Bagno; on rejoignait à Arezzo
la
voie Cassienne qui conduisait à Rome par Viterbe
et Sutri". On pouvait aussi abandonner
la voie Émilienne avant
Parme pour franchir les Apennins au col de la
Cisa et gagner Pontremoli, Lucques, Sienne,
Viterbe. Or,
que l'on y prenne garde, dès avant le passage
des Alpes, les souvenirs légendaires s'offraient
au pèlerin à
Montmélian, où Charlemagne avait été fait prisonnier.
C'était
dans les vaux de Maurienne que Roland avait
ceint pour la première fois Durandal. A la Novalèse
planait
le souvenir triomphal de la conquête de l'Italie
par le grand Charles. Pavie gardait une relique
de Roland,
un morceau du rocher qu'il avait coupé en deux,
et Borgo San Donnino évoquait le souvenir du
saint Donin
des chansons de geste.
Une
décision de 1288 avait interdit à ceux qui chantent
les guerriers français (lisez: les jongleurs)
de stationner sur
les places de la ville de Bologne, sans doute
parce que leur trop grand nombre gênait la circulation.
On
voit donc que le système de M. Bédier - auquel
nous empruntons tous ces détails - se vérifie
aussi aisément en Italie qu'en Espagne. Les
légendes carolingiennes se placent d'elles-mêmes
sur l'itinéraire des routes de pèlerinage.
-
Rapports entre Saint-Michel de Cluse et le Puy.
Interrogeons
maintenant les monuments. La question est de
savoir si, parmi les églises italiennes romanes
celles qui offrent des liens de parenté avec
des églises françaises se répartissent géographiquement
suivant le pur hasard, ou plutôt à proximité
des routes de pèlerinage.
Examinons
d'abord au débouché du passage des Alpes, dans
le val de Suse, un sanctuaire étrange, perdu
entre ciel
et terre, sur les hauteurs abruptes du mont
Pirchiriano, la Sagra San Michele, Saint-Michel
de Cluse. Par une
disposition singulièrement originale, on accède
à cet édifice par un escalier monumental ménagé
à travers un
soubassement cyclopéen et débouchant dans l'intérieur
même de l'église. Cette curieuse disposition
existait aussi
à la cathédrale du Puy, à cela près que le gigantesque
escalier au lieu de faire plusieurs révolutions
sur lui-même,
montait tout droit du bas de la montagne jusqu'au
choeur. Cette disposition monumentale, qui devait
produire une impression grandiose, a malheureusement
été modifiée au cours du dernier siècle. On
entre aujourd'hui
à la cathédrale du Puy par des portes latérales.
Il
est évident qu'un terrain particulièrement escarpé
peut suggérer à deux architectes différents
une solution analogue,
et l'on pourrait se contenter de cette explication
un peu simpliste, si l'histoire ne nous rendait
compte des rapports ayant existé autrefois entre
le Puy et Saint-Michel de Cluse (Comte E. de
Dienne, l'Abbaye de Saint-Michel de Cluse et
ses rapports avec la ville du Puy, dans Congrès
archéol. du Puy, 1904, p. 270).
La
fondation de cette dernière église est due en
effet à Hugue le Décousu, qui appartenait à
une illustre famille du
Velay, celle des Montboissier. On comprend mieux
maintenant pourquoi l'église de Saint-Michel
de Cluse reproduit
la disposition si originale de la cathédrale
du Puy, et l'on comprend aussi pourquoi le plan
du choeur sur
lequel s'ouvrent directement deux chapelles
rayonnantes, sans l'intermédiaire d'un déambulatoire,
reproduit également
une disposition usuelle des églises du Velay
(Saint-Paulien, Chamalières, Retournac, Beaulieu,
Saint-Maurice de Roche, etc ...), ainsi que
l'avait noté C. Enlart.
Chose
curieuse, les légendes aniciennes et celles
de Saint-Michel de Cluse se confondent également.
C'est d'abord le miracle du feu enveloppant
ici et là le mont Pirchiriano et le roc du Puy.
C'est aussi la légende qui se
rattache à la tour dite de la belle Alda. On
racontait qu'une jeune fille, pour garder sa
vertu, s'était de cette tour
précipitée dans l'abîme en présence de son séducteur
et qu'elle s'était relevée saine et sauve. On
ajoute même qu'ayant
voulu recommencer cette expérience par orgueil
et sans nécessité, cette seconde tentative lui
aurait coûté la vie. Or, la même légende existe
aussi à Saint-Michel d'Aiguilhe, où l'on montre
encore le rocher appelé le Saut de la pucelle.
Ces
légendes semblables, ces analogies dans le plan
et la disposition de l'escalier gigantesque
accédant à l'église sont
dues à l'échange d'influences consécutives à
la fondation du monastère par un grand seigneur
d'Auvergne.
Ajoutons
que rien de semblable n'aurait eu lieu si Saint-Michel
de Cluse n'avait pas été situé sur le trajet
d'une route de pèlerinage, car c'est en revenant
de Rome que Hugue le Décousu y était passé.
On touche ainsi du doigt l'une des façons par
lesquelles la route de pèlerinage pouvait servir
aux transmissions d'échanges.
-
Rareté des églises à déambulatoire et à chapelles
rayonnantes dans l'Italie romane.
S'il
existe un plan aussi peu italien que possible,
c'est celui du choeur pourvu d'un déambulatoire
à chapelles rayonnantes.
Lorsqu'on le rencontre en Italie, à l'époque
romane, on peut avancer presque toujours sans
témérité excessive
qu'il est dû à l'influence française ou qu'il
a été imité de répliques françaises en Italie.
Il est curieux de
constater que ces églises à déambulatoire sont
situées sur des routes de pèlerinage, soit sur
la route de Rome, soit
sur la route de Rome à Brindisi, d'où
l'on s'embarquait pour la Terre Sainte. Lorsque
l'on sait que ces églises appartenaient à des
prieurés clunisiens, l'étonnement diminue.
-
L' église de Sant-Antimo en Toscane.
Citons
d'abord Saint-Anthime en Toscane, église dont
Camille Enlart a clairement défini le caractère
français (Revue de l'art chrétien, 1913, p.
1). Elle se trouve aux abords de la route qui
se détachait de la voie Émilienne avant Parme
et rejoignait Rome en franchissant les Apennins
au col de la Cisa. Nous savons déjà que c'était
la Via francigena.
Autour
de cette église, dont les analogies de style
avec l'église de Conques-en-Rouergue sont frappantes,
fleurissaient aussi les mêmes légendes qu'à
Conques: les deux établissements se prétendaient
fondés par Charlemagne. On disait que l'empereur
avait fondé vingt-quatre abbayes désignées par
les vingt-quatre lettres de l'alphabet. L'abbaye
de Conques se prétendait représentée par la
lettre A; son magnifique trésor conserve encore
aujourd'hui
comme un témoin de cette antique prétention
un très bel émail limousin représentant cette
lettre.
Coïncidence
troublante: l'abbaye de Saint-Anthime affirmait
aussi qu'elle était désignée par la première
lettre
de l'alphabet dans la nomenclature des fondations
monastiques de l'empereur des Francs.
Plus
intéressantes encore et plus significatives
que ces vieilles légendes empruntées à un fonds
commun nous apparaissent
les analogies de plan, de style et de construction
entre Sainte-Foi de Conques et Saint-Anthime.
La
nef inachevée est flanquée de bas côtés surmontés
de tribunes et devait recevoir une voûte en
berceau plein
cintre dont l'imposte, seule, existe. Les tribunes
du côté sud ont été détruites au XVe siècle
et les quatre travées
des tribunes du nord voisines de la façade ont
été terminées dans le style local. Les tribunes
devaient avoir
des doubleaux en plein cintre portant de petits
murs et leurs voûtes devaient être en demi-berceau,
car les
piles des doubleaux sont encore en place avec
leur imposte et toute l'ordonnance est identique
à celle de tribunes
de l'église de Conques. Les chapiteaux et leurs
tailloirs sculptés sont du style de ceux de
Conques, de Toulouse,
de Saint-Hilaire de Poitiers. La région du choeur
est la mieux conservée et la plus typique. Ce
choeur
est contourné par un déambulatoire sur lequel
s'ouvrent trois chapelles rayonnantes. Le déambulatoire
est
surmonté d'une galerie fermée du côté de l'intérieur,
à peine éclairée de six archères ménagées dans
le mur extérieur
et couverte d'une voûte en demi-berceau. A l'extérieur,
les chapelles rayonnantes sont épaulées par
des
contreforts ayant la forme d'une colonne engagée
prenant base sur un socle quadrangulaire. Toutes
ces particularités,
tous ces détails se retrouvent à Conques Comme
cette architecture et ce style sont absolument
étrangers
à l'Italie, comme nous savons, d'autre part,
qu'en 1106 au moins ce prieuré toscan dépendait
de Cluny, l'on est bien forcé de conclure à
une influence française: cette influence devait
venir de Conques en Rouergue.
Plus
loin, sur la même route, l'église Notre-Dame
de San Quirico d'Orcia possède une porte latérale
qui rappelle celle de la façade de l'église
de Sant' Antimo.
-
L' église de Venosa en Basilicate.
Si
l'on veut retrouver d'autres spécimens d'églises
à déambulatoire, il faut se transporter maintenant
sur le tronçon d'une autre route de pèlerinage,
celle qui menait de Rome à Brindisi, port d'embarquement
pour la Terre
Sainte. Cette route n'était autre que la via
Appia, la doyenne des routes romaines, celle
que le poète Stace saluait
du nom de reine des routes, regina viarum.
L'itinéraire
des pèlerins n'était plus tout à fait le même
que celui qu'avait suivi Horace dans le voyage
dont la cinquième satire nous conte les péripéties.
Trajan avait notablement abrégé la route en
construisant le tronçon qui reliait Bénévent
à Brindes. C'est sur ce tronçon que s'élève
la ville de Venosa, la Venusia latine. Or, Venosa,
qui s'enorgueillit d'avoir donné le jour au
poète Horace, possède aussi les ruines d'une
magnifique église romane, au choeur très profond,
entouré d'un déambulatoire sur lequel s'ouvrent
trois chapelles rayonnantes.
Cette
belle abbatiale, dans laquelle Bertaux (L'Art
dans l'Italie méridionale... Paris, 1903) avait
reconnu avec raison un monument dû au rayonnement
de l'influence monastique française et que l'on
sait avoir été l'oeuvre des Clunistes de la
Cava, fut imitée à la cathédrale d'Acerenza,
distante d'une trentaine de kilomètres, d'une
construction plus sommaire et plus pauvre, bâtie
sans doute par des ouvriers indigènes. Notons
encore la cathédrale d'Aversa, située non loin
de Naples et aux abords de la route qui mène
à Brindes; son déambulatoire est couvert de
pesantes voûtes d'ogives. Y eut-il des rapports
facilités par la route entre Venosa et Aversa?
Des moines français fréquentèrent-ils l'abbaye
de San Lorenzo d'Aversa, comme le pensait Bertaux?
Autant de questions qui demanderaient à être
résolues sur place.
-
Un plan d'origine française.
Contentons-nous
seulement de constater que des trois seules
églises romanes à déambulatoire de l'Italie
du Sud, deux sont probablement des répliques
d'un modèle dont le caractère français s'explique
par une origine clunisienne. Ces églises et
celle de Saint-Anthime sont situées sur une
route de pèlerinage ou à ses abords.
Saint-Michel
de Cluse, qui trahit des influences venues de
la région du Puy, domine la route venant du
Mont-Cenis. II y a dans ces faits plus que de
simples coïncidences. Si les routes d'Italie
expliquent des échanges d'influence
dans le domaine de la sculpture qui ont déjà
été mises en lumière, l'on doit admettre aussi
qu'elles ont
servi à propager certains types d'églises.
-
Conclusion.
On
voit ainsi que l'importance du rôle des routes
de pèlerinage en fonction de certains problèmes
d'échanges d'influences
n'est pas mince. Mais on doit se garder de rien
exagérer, car ces routes n'étaient, la plupart
du temps,
que les grands chemins naturels qu'avaient déjà
empruntés les voies romaines. En dehors de ces
routes, bien
souvent il n'y en avait pas d'autres. Lors de
la guerre d'Espagne sous Napoléon 1er, le chemin
de l'invasion fut
celui qu'avaient suivi les Croisés du XIe siècle
pour guerroyer contre les Maures et ensuite
les pèlerins de
Saint-Jacques: c'était le vieux chemin de l'entrée
en Espagne, le Camino Francés.
Ainsi,
il y aurait donc une certaine naïveté à ne pas
trouver quelque peu logique cette quantité de
magnifiques monuments du moyen âge élevés dans
les villes qui bordent ces routes, car ces routes
étaient le plus souvent des voies de passage
obligées, et n'a-t-on pas dit. spirituellement
à ce propos qu'en fin de compte tout chemin
mène à Rome?
A
tout prendre, cependant, le rôle de ces routes
fut considérable, car il consista à diriger,
à canaliser, pour ainsi dire, le long du tracé
de celles-ci, des influences qui se fussent,
peut-être sans leur intermédiaire, disséminées
au hasard. On peut comparer les anciens courants
artistiques, assez puissants pour franchir les
frontières, à des fleuves au large cours qui
auraient vu depuis longtemps tarir leur source.
Mais des oeuvres d'art, demeurées çà et là en
place, des monuments grandioses encore debout
restent comme d'éloquentes survivances d'un
passé aboli, comme les épaves suggestives laissées
par ces flux et ces reflux incessants d'influences.
La présence des épaves ne saurait s'expliquer
sans la force du courant qui les apporta; de
même, l'existence de monuments de type analogue,
mais très éloignés les uns des autres, en France,
en Espagne, en Italie, s'expliquerait assez
mal si nous nous privions des lumières qu'apporte
avec elle la théorie des routes de pèlerinage.
C'est
le fil conducteur qui permet de relier les uns
aux autres des monuments qu'on avait autrefois
le tort d'étudier isolément et qui avaient gardé
jalousement jusqu'à ces dernières années le
secret de leurs origines.
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