Les
débuts du pèlerinage sont d'abord très modestes.
Il
n'attire que les fidèles galiciens. Il s'agit
d'un pèlerinage local comme il en existe un
très grand nombre dans toute l'Europe chrétienne
de l'époque. Mais la protection du roi des Asturies
Alphonse II (792-842) et de ses successeurs
entraîne progressivement son développement.
Alphonse III (866-910) remplace en 872 le modeste
édifice d'Alphonse II par une construction plus
vaste, où l'évêque d'Iria Flavia déplace son
siège épiscopal en 900. Le locus sancti Jacobi
devient la villa sancti Jacobi.
C'est à cette
époque que le reste de la chrétienté prend connaissance
de la découvertes des reliques. Les plus anciennes
citations qui en témoignent se trouvent dans
le catalogue des martyrs dû à Florus de Lyon
et dans celui de Saint-Germain-des-Prés, rédigé
vers 867. La reconquête de la Navarre, au début
du 10' siècle, va permettre le passage des pèlerins
venant du nord des Pyrénées. Vers 930 est déjà
signalé le pèlerinage d'un clerc handicapé venant
du sud de l'Allemagne.
Mais c'est le pèlerinage
de Godescalc (parfois nommé Godechaux) en 950-951,
qui retiendra l'attention de la postérité. Il
s'agit en effet d'un personnage considérable,
à la fois évêque du Puy-en-Velay et abbé de
Monastier-Saint-Chaffre, disposant d'importantes
relations en Aquitaine et dans le royaume de
Bourgogne où il est l'ami de l'archevêque de
Lyon et de l'abbé de Cluny. En traversant la
Navarre, il passe par le monastère d' Albelda,
où le moine Gomessan lui remet un exemplaire
du traité de saint Ildefonse de Tolède sur
la virginité de Marie. À son retour, il fait
construire l'église de Saint-Michel d'Aiguilhe.
Partent ensuite en pèlerinage en 959 l'abbé
Césarée du monastère de Sainte-Cécile de Monserrat,
et en 961 le comte de Rouergue Raymond, qui
sera assassiné sur la route du retour.
Une
preuve de la notoriété de la villa sancti Jacobi
jusque chez les musulmans est donnée par l'expédition
menée en 997 par Al Mansour: il détruit le sanctuaire,
tout en respectant la tombe proprement dite.
Durant
le 11e siècle, le pèlerinage continue à se développer.
Du fait de la réforme promue par le pape Grégoire
VII entre 1050 et 1086, l'Église espagnole va
devoir abandonner ses particularismes et se
soumettre aux rites romains. Les monastères
adoptent la règle bénédictine. Le développement
du pèlerinage s'inscrit dans le mouvement général
d'expansion des pèlerinages dans toute l'Europe
(sauf vers Rome qui connaît une relative stagnation).
L'origine
géographique des pèlerins de Saint-Jacques s'étend
progressivement: si les pèlerins français ou
catalans sont toujours signalés à Compostelle,
viennent aussi dans la deuxième moitié du 11e
siècle des pèlerins du Saint Empire Romain Germanique
; en 1065 ce sont des Liégeois, des Flamands,
des Allemands. Puis vers la fin de ce siècle
arrivent des Anglais et des Italiens. Dans la
charte qu'Alphonse accorde aux habitants de
Sahagùn, en 1085, sont cités aussi des Gascons,
des Allemands, des Anglais, des Bourguignons,
des Provençaux, des Lombards.
L'importance
croissante du pèlerinage.
Elle entraîne une escalade
des prétentions des évêques de Compostelle;
en 1095, ils obtiennent le rattachement direct
à Rome de l'évêché, qui est élevé en 1120 au
rang d'archevêché. La ville se développe suffisamment
autour du sanctuaire pour qu'on puisse parler,
à partir de 1150, de la Civitas sancti Jacobi.
Les 12° et 13° siècles constituent l'âge d'or
du pèlerinage; les pèlerins viennent de toute
l'Europe, y compris des régions les plus éloignées
comme la Scandinavie ou la Hongrie. De grands
personnages sont signalés: l'impératrice Mathilde
en 1137, le roi de France en 1154. Désormais
la notoriété de Compostelle égale celle de Rome
ou de Jérusalem.
Saint Jacques profite en effet
d'un certain nombre de facteurs favorables.
À une époque où le culte des reliques du Christ
et de ses compagnons connaît un grand succès,
Compostelle possède le seul corps entier d'apôtre
de tout l'Occident. Autre avantage: le déclin
relatif du pèlerinage à Rome entre les 10° et
12° siècles, du fait des multiples conflits
politiques que connaît la Ville Éternelle. Il
bénéficie aussi des problèmes qui se posent
pour aller à Jérusalem après la perte définitive
de la ville en 1244, la papauté essayant de
promouvoir une nouvelle croisade en Europe au
détriment d'un pèlerinage lointain qui est source
de revenus pour les Infidèles. En Espagne au
contraire, pèlerinage et croisade restent souvent
associés.
Le
rôle de l'abbaye bourguignonne de Cluny.
Son
rôle
dans l'organisation du pèlerinage et dans la
réforme du monachisme espagnol a été l'objet
de vives controverses. Tantôt exagéré, tantôt
nié, il se situe dans une position intermédiaire
et doit être replacé dans le contexte de l'époque.
Les royaumes espagnols n'ayant jamais appartenu
à l'empire carolingien, la réforme de saint
Benoît d'Aniane imposant la règle bénédictine
à tous les monastères de l'empire en 817 n'a
pas pu y être appliquée. Les monastères espagnols
n'adoptent cette règle qu'au cours du 11° siècle,
sans pour autant être intégrés automatiquement
dans l'ordre de Cluny.
On estime à 14 le nombre
des fondations clunisiennes en Espagne, dont
seulement la moitié est située à proximité du
chemin de Saint-Jacques. Mais si aucun des abbés
de Cluny n'a effectué le pèlerinage à Compostelle,
ceux-ci, comme saint Hugues (1049-1109) ou
Pierre le Vénérable (1122-1156), ont eu de nombreux
contacts avec certains évêques et avec les souverains
espagnols
qui ont participé par leurs dons à la construction
de la majestueuse église de Cluny III.
Au 12°
siècle, l'influence de Citeaux se substitue
progressivement à celle de Cluny. En 1195, Alphonse
VIII confie aux cisterciens de Las Huelgas la
gestion de "l'hopital del rey", le
plus importants des 32 hôpitaux que compte alors
Burgos. D'autres ordres monastiques particulièrement
chargés de fonction d'assistance s'implantent
le long du Chemin, ainsi les Antonins à Castrojériz
, les Templiers à Ponferrada, l'ordre de Saint-Jacques
de l'Epée à l' "hostal San Marcos"
de Leon.
(Christian
Furia. Notre histoire N° 168)
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