LES
ORIGINES DU CULTE DE SAINT JACQUES A COMPOSTELLE
conférence
donnée par le Dr.
Bertrand Saint-Macary, Président de l’Association
des Amis des Chemins de Saint-Jacques en Pyrénées-Atlantiques,
dans les locaux de la Bibliothèque de Culture Religieuse
à Pau, le lundi 17 mai 2010.
1.
Les premiers temps du christianisme et le culte
des reliques.
Sur
les douze apôtres, trois occupent dans les
Evangiles une place privilégiée: Pierre, Jean et
son frère Jacques; tous trois témoins de plusieurs
miracles, seuls à assister à la Transfiguration
du Christ sur le mont Thabor, ils sont enfin présents
dans le jardin de Gethsémani, au pied du Mont des
Oliviers, la veille de la Passion.
Saint
Jacques, appelé le Majeur pour le différencier de
l’autre apôtre, Jacques "le Mineur", était pêcheur,
et ils préparaient leur filet sur le lac de Tibériade
quand le Christ les invita à le suivre. Les Actes
des apôtres nous apprennent que saint Jacques a
été le premier apôtre à recevoir la palme des martyrs,
sans donner de précision sur le devenir du corps
décapité du saint. Les premiers chrétiens, souvent
persécutés, développèrent le culte des martyrs qui
se prolongera au cours des siècles par celui des
reliques.
2.
Le christianisme devient la religion officielle
de l’empire romain.
Au
début du IVème siècle, le christianisme devient
la religion de l’empire romain. L’empereur Constantin
édifie à Jérusalem une église sur le tombeau vide
du Christ: l’église du Saint-Sépulcre, dont les
traces archéologiques révèlent le plan initial des
églises de pèlerinage, avec une rotonde entourée
d’un déambulatoire, adaptée aux dévotions des pèlerins.
Elle servira de modèle aux édifices construits
par la suite sur des reliques très vénérées, par
des rois, princes ou évêques, à l’image du premier
empereur chrétien.
On
ignore comment, sur le plan purement historique, le christianisme
s’est introduit en Espagne dans la société
hispano-romaine constituée depuis le IIIème siècle
avant JC autour de grands centres urbains. On sait néanmoins
que, dès le IVème siècle, des évêques
furent nommés dans les principales villes romaines de la
péninsule. C’est Osius de Cordoue qui représente
Rome au concile de Nicée où est réaffirmée
la notion de Trinité et la consubstantialité (la
même nature) du Père, du Fils et du Saint Esprit, face
à l’arianisme qui subordonne le Fils et le Saint Esprit au
Père.
3.
Le royaume wisigothique d'Espagne et saint Isidore.
Les
Wisigoths pénètrent en Espagne dès 414 et installent
leur capitale à Tolède. Ariens, ils subissent cependant
l’influence de Rome et de Byzance, et finissent
par se convertir au catholicisme lors du troisième
concile de Tolède (589). Les évêques occupent une
place prépondérante dans cette société, et rassemblent
autour d’eux des intellectuels venus de tout
le monde méditerranéen.
C’est dans ce contexte particulièrement
propice qu’intervient au VIIème siècle Isidore
de Séville, évêque très érudit: il fixe le rite
chrétien wisigothique qui sera aussi celui des chrétiens
mozarabes, et introduit en Espagne la tradition empruntée
aux Byzantins selon laquelle l'apôtre Jacques le
Majeur serait l'évangélisateur de l'Espagne. Ainsi,
il écrit: "Jacques, fils de Zébédée et frère
de Jean [...] prêcha l'Évangile en Hispanie, dans
les régions occidentales, et diffusa la lumière
de sa prédication aux confins de la Terre. Il succomba
sous le coup de l'épée du tétrarque Hérode. Il fut
enseveli à Achaia Marmarica (partie hellénique de
l’Egypte autour d’Alexandrie)…".
4.
L'émirat omeyyade de Cordoue et les chrétiens mozarabes.
Les
Arabes pénètrent en Espagne en 711. En 750, un héritier
de la dynastie Omeyyade s’établit à Cordoue. La
cité connaît alors un rayonnement qui dépasse la
péninsule, tant sur le plan économique qu’artistique
ou culturel. Toute la population ne se convertit
pas à l’islam: les chrétiens fidèles à leur foi,
appelés mozarabes, sont globalement tolérés, et peuvent
exercer leur culte moyennant un impôt. Cependant,
isolés, héritiers des wisigoths ariens, et influencés
par l’islam rigoureusement monothéiste, ils
ne reconnaissent pas totalement la nature divine
du Christ. L’archevêque métropolitain Elipand de
Tolède embrasse même à la fin du VIIIème siècle
la doctrine de l’adoptianisme selon laquelle le
Christ ne serait que le fils adoptif de Dieu.
5.
Les chrétiens d’Asturies et l’invention du tombeau
de saint Jacques.
Au
nord de la péninsule, des chrétiens des Asturies sont
rejoints par Beatus, moine mozarabe établi dans l’actuel
monastère Santo-Toribio de Liébana. Contre cette tendance
syncrétique entre christianisme et islam, il met en valeur la
nature divine du Christ dans son fameux Commentaire de
l'Apocalypse, appelé "Beatus", remarquablement illustré
et souvent recopié. .

Le Christ, relégué au rang de
simple prophète sous l’influence musulmane, est
affirmé dans ce texte de saint Jean qui annonce son triomphe
à la fin des temps comme Dieu tout puissant
("pantocrator") et regagne sa vraie place au sein de la
Trinité.
Si
le moine Beatus s’est intéressé aux écrits prophétiques
de saint Jean, enterré à Ephèse en Orient, dans
l'hymne "O Dei Verbum", fidèle à saint Isidore, il considère
son frère saint Jacques comme l’évangélisateur de
l'Espagne: il va devenir ainsi le véritable
"prophète" de
l'Occident, face au monde
musulman ou hérétique.
Et
lorsqu'on trouve, au début du IXième siècle,
près de l'ancienne cité romaine d'Iria Flavia, un
mausolée de marbre, en latin "arca marmorica",
ces mots entrent en résonance avec l'expression
grecque employée auparavant par saint Isidore pour
désigner le tombeau de saint Jacques à "Achaia
Marmarica". L'Invention, c'est-à-dire "la découverte", du
tombeau de l’apôtre est accomplie. Le rapprochement peut
paraître mince et infondé, mais la foi ne s’appuie
pas seulement sur des considérations historiques: la
réalité de l’objet vénéré
n’est indispensable qu’à l’idolâtre; le
chrétien, lui, s’appuie sur la force spirituelle de la
tradition. A l’exemple de Constantin, Alphonse II le Chaste,
roi des Asturies, fait alors construire la première
église de Compostelle, achevée en 835.
6.
Le grand pèlerinage d'Occident.
Après
deux siècles de troubles marqués par des
incursions - Normands venant du nord puis musulmans venant
du sud - les chrétiens établis au nord
de l'Espagne reprennent confiance. Sanche le Grand, roi de
Pampelune, fédère au début du XIème
siècle tout le monde chrétien du nord de l'Espagne
et même au-delà. Les moines bénédictins de
l'abbaye de Cluny directement placée sous l'autorité
de Rome entrent en Espagne. Dans le cadre de la réforme
grégorienne, la liturgie romaine remplace la liturgie mozarabe.
Les Clunisiens travaillent à l’essor du pèlerinage
à Saint-Jacques, tandis que chaussées et ponts sont
construits pour faciliter le chemin vers la Galice.
Au
début du XIIème siècle, la construction
de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle
s'achève, et Compostelle devient la
nouvelle "Jérusalem" d'Occident où convergent des pèlerins du monde
entier.
Dr.
Bertrand Saint-Macary, Président de l’Association
des Amis des Chemins de Saint-Jacques en Pyrénées-Atlantiques
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