Les
textes fondateurs de la légende de Compostelle (Bernard
Gicquel)
Initiation
à la genèse du Codex Calixtinus
Bernard
Gicquel, "Les textes fondateurs de la légende
de Compostelle", SaintJacquesInfo
Histoire
du pèlerinage à Compostelle, mis à jour le : 23/06/2009,
http://lodel.irevues.inist.fr/saintjacquesinfo/index.php?id=1213
On
parle souvent du Guide du pèlerin. Beaucoup le confondent
avec le Codex Calixtinus dont il ne constitue que
le dernier Livre (environ 1/10 de l'ensemble). Ce
titre de Guide du pèlerin n'a été donné qu'en 1938.
Mais
qui sait vraiment d'où viennent ces textes ? Par
qui et quand ils ont été composés ? Bernard Gicquel
répond à ces questions dans la première partie de
la Légende de Compostelle, première traduction intégrale
en français du Codex Calixtinus. Cette légende est
un des éléments qui permettent de comprendre l'histoire
de Compostelle.
1er
siècle
Dans
de brefs mais décisifs passages de l'Évangile, saint
Jacques est mentionné en même temps que Pierre et
Jean. Seule une phrase des Actes des Apôtres le
concerne isolément, celle qui rapporte sa décollation.
En l'absence d' informations plus précises sur lui,
sa qualité d'Apôtre, envoyé par Jésus, comme tous
les disciples, "jusqu'à l'extrémité de la terre",
incitera à se représenter qu'il a dû aller jusque
au bord de l'océan.
4e-5e
siècle
Les
Commentaires de saint Jérôme, inspirés de l'Épître
aux Romains, soulignent la place de l'Espagne dans
la diffusion du message chrétien en opposant celle-ci
à l'Illyrie. L'évangélisation du monde y apparaît
en relation avec le mouvement apparent du soleil
d'Est en Ouest, tandis que chaque apôtre est censé
reposer là où il a prêché l'Évangile.
6e
siècle
Les
catalogues apostoliques apocryphes, qui suivent
le plus ancien attribué, à tort, à saint Jérôme,
mentionnent pour saint Jacques sa prédication en
Espagne, son tombeau en Achaïe Marmarique, et sa
fête le 25 juillet. Le premier thème découle d'une
contamination avec saint Paul, le second d'une confusion
avec saint Jacques le Mineur, le troisième d'une
assimilation avec le dieu antique Hermès/Mercure
dont la fête se célébrait à cette date, le jour
de la Canicule, et qui, selon Tite-Live, possédait
en Espagne son tombeau (tumulus Mercurii, près de
Carthagène). Jacques et Jean représentent, en outre,
dans le registre chrétien, les Dioscures Castor
et Pollux, auxquels sont attribués les deux crépuscules
du matin et du soir.
Dans
le quatrième livre de son Histoire du combat apostolique,
composée en Gaule Narbonnaise, qui rapporte l'évangélisation
du monde par les Apôtres et leur martyre, un auteur
qui signe du pseudonyme Abdias, évêque de Babylone,
fournit un récit détaillé du martyre de saint Jacques.
Ce récit démarque la rencontre de saint Philippe
avec Simon le Magicien en racontant la conversion
du magicien Hermogène et de son acolyte Philète,
dont le nom est emprunté à la deuxième épître de
saint Paul à Timothée. Il s'inspire aussi de la
vie de saint Pierre guérissant un paralytique sur
le chemin de Lydie, pour montrer saint Jacques faisant
de même, et convertissant deux sbires, à l'instar
de saint Paul et des deux archers de la garde impériale
envoyés pour le conduire au supplice.
8e
siècle
Une
hymne de la liturgie mozarabe, datable de la fin
du 8e siècle parce qu'elle comporte un acrostiche
du roi asturien Mauregat (783-789), célèbre saint
Jacques comme l'évangélisateur et le patron de l'Espagne.
De nombreuses églises dédiées à saint Jacques sont
construites dans le Nord du pays.
9e
siècle
Le
tombeau de saint Jacques est découvert dans les
premières décennies du 9e siècle. Aucun texte galicien
relatant directement sa découverte et les raisons
de son identification n'a été conservé. La mention
de l'Achaïe Marmarique dans les catalogues apostoliques,
la plupart du temps déformée par la tradition manuscrite,
a pu suggérer l'identité avec le lieu du tombeau
appelé arcis marmoricis. Les martyrologes français
d'Adon et Usuard qui évoquent le tombeau face à
la mer de Bretagne, à la suite de la version messine
de Florus, pourraient être les premiers reflets
textuels de cette Invention.
10e
siècle
La
première version de la Lettre apocryphe du pape
Léon (vraisemblablement Léon III, grand pourfendeur
du priscillianisme) rapporte la translation des
reliques de saint Jacques à Compostelle, en opérant
la synthèse de deux récits :
a)
celui qui relate la translation de l'hérétique Priscillien,
dont l'acrostiche apparaît en filigrane à travers
les toponymes (Bisria + Ilicinus = Priscillianus);
b)
celui qui raconte l'évangélisation de l'Espagne
par sept apôtres, selon le modèle de la légende
grecque des sept dormants. La première version de
la lettre papale donne lieu à la rédaction d'hymnes
liturgiques chantées lors des offices par les pèlerins,
et dont le texte diffusera la connaissance de saint
Jacques en dehors de la Galice. Il existe trois
versions épistolaires postérieures de ce texte,
qui diffèrent toutes par quelques détails; la dernière
est reprise dans les compilations attribuées au
pape Calixte.
1005
ou 1027
Sans
doute en liaison avec le prieuré normand de Saint-James
de Beuvron, la translation des reliques fait l'objet
d'un sermon d'apparat à Fleury (aujourd'hui Saint-Benoît-sur-Loire).
1072
Un
accord passé entre l'évêché de Compostelle et le
monastère d'Antealtares sur le partage des bénéfices
pendant la construction de la cathédrale débute
par un paragraphe qui raconte l'invention du tombeau
par l'évêque Theodemir, à la suite d'une révélation
faite à l'ermite Pélage, fondateur du monastère.
1103
Peut-être
en relation avec une visite de Diego Gelmirez, évêque
de Compostelle, à Saint-Martial de Limoges, le récit
de translation dit de Gembloux est rédigé dans la
forme d'une liturgie de Saint Martial. Il sera repris
dans les compilations placées sous le patronage
du pape Calixte.
1105
Sans
doute à l'occasion de la dédicace de la cathédrale
de Compostelle, le 21 avril, soit un an jour pour
jour après la basilique de Vézelay, maître Panicha
refond les hymnes liturgiques attribuées au pape
Léon qui figureront désormais sous cette double
attribution.
1120
A
l'occasion du concile de Reims, qui représente un
moment important dans le conflit des investitures,
le pape Calixte II fait rédiger à Saint-Denis, entre
autres par Hugues de Porto, représentant de Diego
Gelmirez au concile, l'histoire de Charlemagne et
de Roland en latin. Celle-ci, connue actuellement
sous le nom de Chronique du pseudo-Turpin est une
autobiographie fictive attribuée à Turpin, archevêque
de Reims, pour inciter la chevalerie française à
partir en croisade en Espagne. Le pape Calixte meurt
à la veille de Noël 1124, avant que ce projet n'ait
été exécuté. Mais le texte du Pseudo-Turpin deviendra
un des plus répandus au Moyen Age (plus de 300 manuscrits).
C'est lui qui imposera aux siècles ultérieurs l'image
du preux Roland, dont la Chanson en langue romane,
beaucoup moins répandue - on n'en connaît qu'une
dizaine de manuscrits -, ne sera redécouverte qu'après
1830.
1131-35
Sur
arrière-plan de schisme pontifical, le patriarche
de Jérusalem, Guillaume de Messines, envoie le chanoine
régulier de saint Augustin Aimeric Picaud à Compostelle
par Cluny, pour rallier Diego Gelmirez à la cause
du pape Innocent II. Aimeric est porteur de pièces
liturgiques et de miracles composés par Guillaume
de Messines en l'honneur de saint Jacques. Il accroîtra
en cours de route sa collection de miracles italiens,
de miracles de saint Gilles et de miracles rhodaniens
en remontant vers Cluny, puis d'emprunts aux miracles
de saint Léonard en redescendant vers Compostelle,
où il recueillera enfin quelques miracles espagnols.
Sa collection ne va pas au-delà de 1135. Les chanoines
de Compostelle, jusque là sous la règle de saint
Isidore et seulement associés aux chanoines réguliers
de saint Augustin, deviennent alors des Augustins
à part entière. C'est aussi l'année ou s'achève
la cathédrale de Compostelle, et les Miracles qui
montrent saint Jacques protégeant inlassablement
ses pèlerins sur les chemins sont bien faits pour
inciter les fidèles à ne pas redouter les dangers
du pèlerinage. La Translation de Marchiennes qui
mentionne la pierre, trouvée lors de la réfection
de l'église de Padron en 1134 et qui aurait pris
la forme du corps de saint Jacques est sans doute
contemporaine.
1139
La
mort de Diego Gelmirez marque l'achèvement de l'Historia
Compostellana écrite à sa gloire et dans laquelle
figurent un récit de Translation des Reliques et
un récit de l'Invention du Tombeau. L'ancien abbé
de Vézelay, Albéric, cardinal d'Ostie, et légat
pontifical, ajoute le dernier miracle à la collection
d'Aimeric Picaud, et suggère peut-être de placer
un recueil des textes jacquaires que l'on possède
sous le patronage du pape Calixte II.
1140
La
première version de cette compilation comporte la
Chronique de Turpin dans sa version brève, la lettre-préface
du pape Calixte, un dossier sur la Translation,
- avec la quatrième version de la lettre du pape
Léon, la Translation de Limoges/Gembloux et les
trois solennités de saint Jacques - , et les Miracles,
attribués au pape Calixte. Cette compilation ne
paraît pas avoir de titre.
1144-45
La
compilation qui prend le nom de Liber Miraculorum
sancti Jacobi change l'ordre et la nature de ses
composantes. Les Translations passent en tête, et
sont suivies des Miracles, puis de la version longue
de la Chronique de Turpin. Entre ces recueils apparaissent
des textes satellites, sur saint Eutrope de Saintes,
sur les Navarrais, sur la mort de Turpin, sur l'émir
de Cordoue, etc. A la fin de la compilation figure
un poème d'Aimeric Picaud, qui n'est qu'une table
des matières versifiée du recueil de miracles, ainsi
qu'une authentification apocryphe de l'ensemble
par le Pape Innocent II, elle-même confirmée par
des cardinaux.
1160
Les
textes satellites isolés tendent à se regrouper
en un volume qui occupe la quatrième place et deviendra
le Guide du Pèlerin. Une très vaste compilation
liturgique de sermons et d'offices prend la première
place, les Miracles la seconde, tandis que les Translations
passent à la troisième. Le Pseudo-Turpin semble
avoir été provisoirement écarté au profit de textes
plus spécifiquement religieux. Cette forme du recueil
pourrait être contemporaine de la réalisation du
Portail de la Gloire de la cathédrale.
1165
La
canonisation de Charlemagne redonne une actualité
religieuse au Pseudo-Turpin et incite à le réintégrer
parmi les autres textes. Il y prendra la quatrième
place, entre les Translations et le futur Guide
du Pèlerin qui glisse à la cinquième. C'est la forme
sous laquelle se présente aujourd'hui le Codex Calixtinus
ou Livre de Saint Jacques de Compostelle, ouvrage
de luxe dont les copies ont été très peu nombreuses,
tandis que diverses versions du Liber Miraculorum
sancti Jacobi qui en est la source ont continué
à être diffusées au XIIIe et au XIVe siècle.
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