Compostelle
813-2013. Une Commémoration nationale
Denise
Péricard-Méa
http://www.saint-jacques-compostelle.info/Compostelle-813-2013_a150.html
La
légende de Charlemagne, racontée par la Chronique
de Turpin, a longtemps été considérée comme véridique,
et a fait partie des Grandes Chroniques de France.
Grâce à elle, Compostelle a été connue dans toutes
les cours d’Europe. Elle a surtout encouragé la
mobilisation des chevaliers francs pour la Reconquista.
L’histoire de Charlemagne permet de définir 813
comme date symbolique de la découverte en Galice
du tombeau qui est à l’origine du pèlerinage de
Compostelle.
En
2013, Charlemagne et Compostelle se trouveront réunis
par le 1200e anniversaire de cette date symbolique,
retenue sur la liste des Commémorations nationales,
occasion de prendre la mesure de la dimension politique
de Compostelle.
Des
célébrations devenues commémorations
La
proposition, faite en 2011, de célébrer Céline,
écrivain célèbre mais antisémite, a soulevé
un tollé de protestations. Elle a aussi appelé l'attention
sur les Célébrations nationales. Que sont donc ces
Célébrations, devenues en 2012 Commémorations nationales
?
Elles
ont été instituées en 1974 par Maurice Druon, ministre
de la Culture. Leur objectif était de marquer, chaque
année, des événements importants de l’histoire nationale
propres à éclairer la réflexion contemporaine.
Au
fil des années, les anniversaires retenus ont dépassé
le cadre national, pour s’ouvrir à des événements
étrangers ou antérieurs à l’histoire nationale au
sens strict. Tous sont significatifs, chargés de
valeurs exemplaires, ou témoins de situations dont
la célébration serait déplacée mais dont la commémoration
s’impose. Les Célébrations sont donc depuis 2012
des Commémorations. Ainsi en a-t-il été, cette année,
de l’anniversaire des accords d’Evian.
Depuis
1998, un Haut comité, composé de personnalités éminentes,
conseille le ministre de la Culture dans la définition
des objectifs et des orientations de la politique
dans ce domaine. Il lui propose chaque année une
liste des anniversaires susceptibles d’être inscrits
au titre des célébrations nationales.
En
2013 sera commémoré le 1200e anniversaire de la
découverte du tombeau de saint Jacques à Compostelle.
Commémorer
Compostelle en 2013 ?
Lorsque
Denise Péricard-Méa, responsable scientifique de
la Fondation, a été consultée sur l’inscription
éventuelle de la découverte du tombeau de saint
Jacques à Compostelle sur la liste des Commémorations
de l’année 2013, sa première réaction a été: "Vous
voulez rire ?"
Mais
non, l’interlocuteur était sérieux. Il savait qu’une
médiéviste, spécialiste de saint Jacques, ne pouvait
qu’être réticente à l'énoncé de cette proposition.
Il voulait la rencontrer, pour comprendre ses réserves,
et trouver des arguments lui permettant de proposer
cette inscription au Haut comité.
La
première objection vient de l’histoire elle-même.
Il n’y a pas de tombeau de saint Jacques à Compostelle,
mais un mémorial, comme l'a dit le pape Jean Paul
II en 1982. Les pèlerins contemporains ont déjà
trop tendance à croire à l'existence de ce tombeau,
inutile de leur donner de nouveaux arguments.
Les
seules mentions historiques de saint Jacques sont
celles de l’appel qu’il reçut de Jésus, avec son
frère Jean, alors qu’il pêchait en Galilée, et de
son martyre à Jérusalem rapporté par les Actes des
apôtres. Après sa résurrection, Jésus demande à
ses apôtres d’aller porter la bonne Nouvelle "aux
extrémités de la terre" . Par qui
l’Espagne a-t-elle été évangélisée ? Rien ne le
dit de façon certaine. Mais, en Espagne, à partir
du VIIe siècle, des textes l’attribuent à Jacques
le Majeur. Au-delà, aucun document digne de foi,
des "histoires de nourrices" dit l’archevêque
de Tolède en 1215, dans une controverse avec celui
de Compostelle à l'occasion du 4e concile de Latran.
Pourquoi
retenir 813 ?
Mais
les légendes font aussi partie de l’histoire, et
celles de Compostelle sont liées à l’histoire de
France. Voilà un argument qui méritait d’être retenu.
Mais
alors, s’il n’y a que légende, pourquoi 813 ? La
réponse est simple: parce que Charlemagne est mort
en 814, ce que les Chroniques rapportent de façon
certaine. "Et alors ? ", pensez-vous sans
doute. La réponse à cette interrogation est donnée
par la Chronique de Turpin, qui a fait partie des
Grandes Chroniques de France, donc de notre histoire
officielle, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, époque
à laquelle elle fut reconnue comme légendaire.
Et
où trouve-t-on l’écrit de ce Turpin ? Dans le Codex
calixtinus, manuscrit du XIIe siècle conservé, jusqu'à
son vol en 2011, dans la bibliothèque de la cathédrale
de Compostelle, et dans plus de 200 manuscrits antérieurs.
On y apprend que Charlemagne, appelé par saint Jacques,
est venu délivrer son tombeau tombé aux mains des
Sarrasins. La découverte d'un tombeau ne peut donc
être postérieure à 813. Date symbolique, mais plausible
par ailleurs, qui la rattache à notre histoire.
L'année
2013 pouvait donc commémorer le 1200e anniversaire
de la découverte d'un tombeau à Compostelle, sachant
qu'il s'agit d'une légende qui, depuis 12 siècles,
a influencé l'histoire de l'Europe.
La
dimension politique de Compostelle
Commémorer
cet anniversaire symbolique, c'est mettre l'accent
sur la dimension politique de l'histoire de Compostelle,
plus que sur sa dimension religieuse. C'est reconnaître
le rôle de Compostelle comme foyer spirituel de
la Reconquista.
La
première bataille, opposant le royaume chrétien
des Asturies aux musulmans Ommeyades, fut Covadonga
en 722.
Mais
la légende qui a durablement marqué les esprits
est celle de la bataille de Clavijo en 844. C'est
dans la plaine de Clavijo, au pied de l'imposante
forteresse, que saint Jacques serait apparu aux
côtés des troupes chrétiennes. Alors qu'à Covadonga,
les chrétiens avaient invoqué la Vierge, c'est avec
l'aide de saint Jacques qu'ils sont victorieux à
Clavijo.
C'est
là que naît la figure du Matamore, exploitée à partir
du XVe siècle à la gloire de l'Ordre de Santiago,
qui n'a plus alors de raison d'être en dehors de
commémorer des hauts faits réels ou imaginaires.
Une
publicité réussie
Deux
utilisations politiques contemporaines du sanctuaire
ont donné à Compostelle une renommée mondiale.
La
première est due à Franco, le Galicien, qui a transformé
le Matamoros en Matarojos dans sa lutte contre les
Républicains, et favorisé la recherche sur Compostelle
pour en promouvoir la fréquentation.
La
seconde est celle du Conseil de l'Europe qui, en
1987, a fait des chemins de Compostelle le premier
Itinéraire Culturel Européen, ouvrant la voie à
leur inscription injustifiée sur la liste du Patrimoine
mondial.
2013
célébrera donc les 1200 ans d'une découverte symbolique
qui a donné lieu à une campagne publicitaire séculaire
particulièrement réussie.
Compostelle
répond à un besoin de société
Quelles
que soient les raisons qui ont fait connaître Compostelle
dans le dernier quart du XXe siècle, ce pèlerinage
répond à un besoin de la société contemporaine.
Le nombre croissant de ceux qui s'y pressent en
est la preuve.
La
plupart sont ignorants de l'histoire qui les a conduits
sur ces chemins mythiques, et ne cherchent pas à
la connaître, se contentant du discours convenu
de leurs associations, inlassablement reproduit
par les médias, en particulier la presse catholique
qui se croit sans doute gardienne d'une fausse tradition
de l'Eglise.
Un
autre anniversaire en 2013
2013
marquera aussi le 50e anniversaire de la première
chevauchée vers Compostelle à laquelle participa
René de La Coste-Messelière, alors secrétaire de
la société des amis de Saint-Jacques, et plus tard
promoteur des chemins auprès du Conseil de l'Europe.
Personne
n’a jamais évalué les conséquences de cette chevauchée
de 1963. Les recherches en cours à la Fondation
nous permettront de les préciser dans un prochain
article.
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at wanadoo.fr - 14/12/2012
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