Une
confrérie de Saint-Jacques à Bethune (1439)
Daniel
Brette
http://interlangues.discipline.ac-lille.fr/
(extraits)
DES
CONFRERIES SAINT JACQUES EN GENERAL…
Les
premières confréries Saint Jacques apparurent en
France au XIIIème siècle, qui est la période de
grand essor du pèlerinage. Nées en un premier temps
dans les grandes villes, elles essaiment progressivement
dans les localités moyennes pour atteindre rapidement
le chiffre de deux cents.
Très
vite, ces confréries se dotent de signes distinctifs
(bannière de procession, costumes, statues, gravures…).
Leurs buts sont multiples: organisation de l’accueil
des pèlerins, aide aux futurs pèlerins, dévotion,
participation aux manifestations et cérémonies de
la cité.
…AUX
CONFRERIES BETHUNOISES, ET A CELLE DE SAINT JACQUES
EN PARTICULIER
Les
statuts de la confrérie béthunoise de saint Jacques
figurent dans un document conservé à la Médiathèque
Elie Wiesel de Béthune (série HH) et datent de 1439.
Existait-il
des statuts antérieurs, à l’instar de ceux qui régissent
la Confrérie des Charitables ? Les statuts de 1439
sont-ils une refonte, une adaptation d’autres plus
anciens ? Il n’y a pas de réponse à ces questions.
A
Béthune, un grand nombre de confréries, appelées
aussi "candeilles ou carités", sont répertoriées
en cette première moitié du XVème siècle: confréries
de métiers (par exemple), confréries d’archers,
confréries de dévotion. On peut dire que la majorité
des foyers, directement ou en la personne d’un proche,
sont en relation avec une ou plusieurs confréries.
Les confréries structurent la vie sociale de la
cité.
Au
nombre des raisons que l’on peut invoquer pour expliquer
cet état de fait figurent :
-
la volonté de l’autorité seigneuriale de favoriser
des structures sociales cohérentes…. et de percevoir
des revenus(chaque confrérie doit verser chaque
année, à un terme fixé une redevance qui constitue
une sorte de "droit au bail ",
-
le souhait par la population de se constituer une
sorte d’assurance contre la pauvreté, la maladie,
et les aléas de l’existence, car les confréries
fonctionnent aussi comme des caisses d’entre aide.
Il
est intéressant de noter que ce souci de cohésion
dans l’esprit et le fonctionnement des confréries,
apparaît nettement lorsque compare leurs statuts
respectifs: il existe une sorte de modèle commun
dont les grands axes sont:
-
l’élection régulière d’une hiérarchie (un prévôt
et des mayeurs),
-
la confection d’une chandelle,
-
la célébration solennelle de la fête du saint patron,
-
l’assistance obligatoire des confrères à un certain
nombre de manifestations et cérémonies
-
une caisse alimentée par les droits d’entrée, les
dons et les amendes pour manquement à la règle,
-
une assistance mutuelle
-
une exigence de bonnes moeurs.
Nous
retrouvons-là , y compris dans le vocabulaire -
avec quelques petites variantes - les règles qui
régissent depuis des siècles notre vénérable Confrérie
des Charitables.
La
plupart de ces confréries possédaient des biens
meubles et immeubles et parfois des
moyens
financiers importants.
DES
STATUTS DE LA CONFRERIE SAINT JACQUES TELS QUE DEFINIS
DANS LA CHARTE DE 1439
Je
ne présenterai pas ces statuts tels qu’ils figurent
dans la charte, car les redites et recoupements
sont nombreux, mais les regrouperai par thèmes.
Vie
interne de la confrérie
-
Chaque année, le jour de la Saint Jacques et de
la Saint Christoffe seront élus un prévôt et deux
mayeurs. Ils prêtent serment. Les confrères leur
doivent obéissance et sont tenus de "faire
leurs commandemens raisonnables et telz qu’il appartendra
à faire touchant ladite carité".
-
Lors de cette assemblée générale on procède également
à la reddition des comptes qui engage la responsabilité
du prévôt et des deux mayeurs
-
Le repas annuel statutaire ("le disner")
a lieu à l’intérieur de la chapelle Saint Jacques.
Les confrères sont tenus d’y participer sous peine
d’amende dont le montant est fixé d’avance.
-
Admission d’un nouveau confrère. La confrérie est
ouverte à tous, ce qui pose le problème de l’accomplissement
du pèlerinage. Il ressort des statuts que la confrérie
réunit de simples confrères et d’autres ayant réalisé
le pèlerinage. Les uns et les autres doivent être
"gens de bien, d’onneur, de bonne vie et renommée
sans vilaine reproche". Certaines confréries
- ce qui, on le voit n’est pas le cas à Béthune
- n’admettent que d’anciens pèlerins; mais cette
clause restrictive est de nature à en limiter fortement
l’effectif, voire à la conduire à disparaître purement
et simplement, faute de combattants.
-
Décès d’un confrère. L’organisation des obsèques
est particulièrement précise et rigoureuse. Le service
funèbre sera célébré "a diacre et soubz diacre"
dans la chapelle. Le prévôt et les mayeurs ont obligation
de convoquer les confrères. Ceux-ci devront accompagner
le corps et le porter.
-
Aide mutuelle. La confrérie fonctionne comme une
assurance. Le groupe protège matériellement chacun
de ses membres contre la pauvreté et la maladie.
Les statuts précisent de quelle façon se fera cette
aide: une somme sera versée par tous les membres
chaque semaine.
-
Paix et sociabilité. Le long article 6 s’étend longuement
sur tous les manquements possibles à la sociabilité
entre confrères : injures, voies de fait, blessures…Le
prévôt et ses mayeurs ont obligation de régler les
conflits dans un délai prescrit de sept jours et
sept nuits suivant "la dite noise, débat ou
question". Tout un système de pénalités proportionnelles
à la gravité du manquement est prévu.
-
Le costume. Il s’agit là d’une marque distinctive
de grande importance qui permet aux confrères de
se reconnaître et de se faire reconnaître par le
biais de symboles communs. Les confrères de la carité
de Béthune porteront lors de toutes les manifestations
et cérémonies internes et externes "un capperon"
dont forme et couleur sont laissées à l’appréciation
du prévôt et des mayeurs. Dans l’année qui suit
leur confection, il est interdit sous peine d’amende
de vendre, donner et gager ces "capperons".
Détail capital: les confrères qui ont fait pèlerinage
sont tenus de porter leur "jayet" rapporté
de Saint-Jacques-de-Compostelle. Il est formellement
interdit aux confrères n’y sont pas allés de porter
cet objet.
-
Les prescriptions concernant "candeilles, cierges
et cire" sont nombreuses et extrêmement précises.
Il sera fait chaque année une "candeille"
pour accompagner le précieux corps de Notre Seigneur
Jésus Christ le jour du Saint Sacrement, et seuls
pourront (et seront tenus) la porter les membres
de la confrérie qui seront récemment revenus du
pèlerinage de Saint Jacques en Galice. Les autres
confrères ne feront qu’accompagner ladite chandelle.
En outre, les dix confrères feront faire chaque
année six cierges de deux livres chacun qui seront
disposés dans la chapelle et allumés les nuits de
la saint Jacques et de la saint Christoffe, ainsi
qu’à la messe et aux vêpres de ces mêmes fêtes.
Lors des obsèques d’un confrère, ses "hoirs"
( = ses héritiers) devront financer l’achat d’une
quantité déterminée de cire destinée à l’offrande.
On
voit là l’extraordinaire importance symbolique que
revêt la lumière. Il est remarquable à ce sujet
qu’un synonyme du mot "confrérie" soit
le terme "candeille". Certaines confréries
désireuses de montrer à la fois leur richesse et
leur dévotion font en ce domaine des sortes d’exploits;
ainsi la confrérie parisienne de saint Antoine fait
confectionner à l’occasion d’une épidémie une immense
chandelle enroulée sur un moulinet d’une longueur
équivalente à celle du tour des remparts.
La
confrérie de saint Jacques dans la cité
Bien
que les statuts de la confrérie n’y fassent que
légèrement allusion, on sait par d’autres sources
que la confrérie de Saint Jacques, à l’instar des
autres confréries de la ville est en représentation
lors des nombreuses festivités civiles et religieuses:
joyeuses entrées, fêtes de Carnaval. Traditionnellement,
les confréries donnent des représentations théâtrales
dans l’esprit des "mystères"; la confrérie
de Saint Jacques y représente certains miracles
réalisés par l’apôtre saint Jacques, en particulier
le très populaire miracle du "pendu dépendu".
On joue également des "jeux de farce".
La confrérie participe aussi à des fêtes bouffonnes
- fêtes fortement critiquées en raison des débordements
auxquels elles donnent lieu. A Béthune on élit "le
Prince de Saint Jacques", et on frappe des
monnaies "pour rire" à l’effigie de ce
dernier.
DECLIN
ET DISPARITION DES CONFRERIES SAINT JACQUES
A
l’époque de la Renaissance de nombreux humanistes
s’interrogent sur la valeur religieuse des pèlerinages.
Luther, Rabelais, Erasme et bien d’autres prônent
une foi intériorisée et authentique et condamnent
les formes superstitieuses d’expression de la foi.
Le pèlerinage à Compostelle commence à décliner.
La pensée rationaliste des Lumières, la Révolution
française lui porteront un coup sévère. Le pèlerinage
disparaissant, les confréries saint Jacques subiront
le même sort. En 1985 on n’en recensait plus qu’une
seule en Europe: la Guilde Saint Jacques de Harlem
aux Pays Bas. Sa vocation n’était plus que caritative.
Remerciements
à Bernard Caron (Médiathèque Elie Wiesel), ainsi
qu’au Musée d’Ethnologie régionale de Béthune.
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