Etre
hospitalier à Saint-Jean Pied de Port
Brigitte
Alésinas
(Chemin
Faisant - Alpilles n° 38)
Cela
fait deux ans que je renouvelle l'expérience, et
je ne suis pas déçue. Situé dans la rue d'Espagne,
ce gîte paroissial, appartenant à l'église catholique,
est déjà à lui seul toute une histoire. C'est le
don d'une paroissienne, Justine, qui a voulu que,
après sa mort, sa maison serve à l'accueil des pèlerins
avec qui elle aimait partager un temps de parole.
C'est un accueil-partage, ouvert à tous les pèlerins
allant à Saint-Jacques de Compostelle, quelles que
soient leurs idées ou religions.
D'une
capacité d'hébergement de 13 personnes, ce lieu,
de par son fonctionnement, permet un réel échange
avec les pèlerins. Alors, bien sûr, tous les jours,
il y a la remise en ordre et le ménage de la maison,
les courses, la préparation du repas, mais les moments
magiques sont bien là.
Il
y a d'abord le sourire de tous ces pèlerins, et
leurs visages qui s'illuminent lorsqu'ils apprennent
qu'il y a de la place (nous ne prenons les réservations
que la veille). Puis, ce que j'aime, c'est que ce
village est une vraie plaque tournante du chemin,
un lieu de départ et de fin du chemin. Sa situation
géographique fait que nous y accueillons à la fois
ceux qui, partis du Puy, ont choisi de s'y reposer
avant de continuer sur le camino francés, ceux qui
commencent, ceux qui s'arrêtent et reprendront ou
non un jour... C'est un melting-pot de nationalités
différentes, mais, finalement, pendant le repas,
réel temps de partage, il y a toujours quelqu'un
pour traduire à l'autre. C'est le début de la magie
du chemin !
Etre
hospitalière, c'est à la fois accueillir et rassurer
les anxieux, comme cette jeune américaine qui, avec
sa maman, se lance dans cette aventure. C'est aussi
aider à trouver des solutions pour ceux qui veulent
continuer, mais ne peuvent pas car, on le sait tous,
il est plus difficile d'arrêter que de continuer,
même blessé quelquefois. Renseigner pour l'étape
du lendemain qui n'est autre que la mythique montée
vers le col de Roncevaux, écouter les histoires
qui mettent certains sur le chemin. En fait être
hospitalier c'est avant tout ouvrir son coeur. Si
certains le font pour rendre ce qu'ils ont reçu
du chemin, c'est aujourd'hui aussi ma manière de
continuer le chemin, sans marcher !
Et
cela me fait penser aussi que, si je suis sur le
chemin comme hospitalière, c'est parce que j'en
ai eu assez de lire trop souvent des lamentations
sur ce que devient le chemin. Facile de pousser
des coups de gueule, et si je veux que le chemin
reste ce que l'on veut tous qu'il soit, un chemin
de partage, de fraternité, un lieu d'accueil, alors
le mieux n'est il pas d'y aller comme hospitalière
?
Apporter
aussi ce que j'aurais aimé trouver lorsque je m'arrêtais
le soir: un verre d'eau fraîche pour me remettre
de la chaleur de la journée, un thé lorsqu'il faisait
froid, un goûter, une oreille attentive dans les
moments de fatigue, une bonne soupe pour me réconforter...
Quel bonheur d'entendre les pèlerins: "Que
c'est bon, que cela fait du bien ! On a rarement
des légumes et des fruits sur le chemin".
Voilà,
alors j'ai mes limites bien sûr, mais j'essaie,
j'essaie au moins, pendant quelques semaines, dans
ce gîte de la maison Kaserna, de donner le meilleur
de moi-même. N'est-ce pas comme cela que l'on change
aussi le cours des choses ? Que chacun donne un
petit peu de meilleur dans le quotidien de l'autre
! Et essayer de continuer ensuite dans la vie de
tous les jours. Car ne revient on pas meilleur du
chemin ?
Je
n'essaie pas d'être optimiste ou pessimiste sur
l'avenir du chemin. Il y a juste environ 50 000
pèlerins qui passent actuellement par an à Saint
Jean Pied de Port, et "là où il y a de l’homme,
il y a de l’hommerie"; alors, les petites anicroches,
j'essaie de faire avec. Etre hospitalière, c'est
aussi écouter, sans forcément répondre, sans juger.
Lire aussi dans le regard, l'expression du visage,
que cela va ou ne va pas.
Il
y a aussi bien sûr des situations particulières,
comme dans la vie, et là je pense à Nicole, qui
arrivée le visage complètement fermé, s'installe
avec ses soeurs. Elles ont décidé d'arrêter, alors
qu'elle est en forme pour continuer. Ce soir-là,
elle passera son temps à la cuisine en me confiant:
"physiquement, je suis là avec vous, Brigitte,
mais mon esprit est ailleurs; je voulais continuer
le chemin, mais c'est un projet à trois, et je n'ai
pas oser dire que je ne voulais pas arrêter".
Alors, dans le silence, elle s'occupera les mains.
Il
y a aussi de plus en plus d'américains, qui après
avoir visionné le film "The Way", se mettent
en route pour Compostelle. Mais la réalité est autre,
et là, je dois faire comprendre à David que, malgré
ses peurs et autres confidences, il doit partir
demain. C'est beaucoup d'écoute, mais je ne prends
rien. Chacun repart avec son histoire, certains
en laissent trace aussi sur le livre d'or: "j'ai
peur d'aller sur le chemin, j'ai peur des loups,
j'ai peur de moi"... Et c'est un grand bonheur,
chaque matin, lorsque nous nous rassemblons autour
du premier pèlerin prêt à partir, pour entonner
ULTREIA ! Remplis d'émotion, voilà, ils sont prêts
à partir vers Orisson, qui marquera souvent leur
première halte, et moi, je commence une autre danse.
Les gestes qui vont préparer l'arrivée des nouveaux
pèlerins du jour.
Et
quel bonheur, à 15 h, d'ouvrir la porte du gîte,
et de dire "Bienvenue à Kaserna" !
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delhommeb
at wanadoo.fr - 06/05/2015
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