DONATIVO
- LIBRES PROPOS DE SERGE
Serge
- Relais des Jacobins (Cahors)
Alpilles
"Chemin faisant" n°35 - Sept. 2013
Le
thème concerne le "donativo", mais aussi
la fâcheuse association d’idée que font certains
pèlerins entre une exploitation "professionnelle"
du chemin et escroquerie, abus, ou je ne sais quel
autre qualificatif blessant. Bien sûr, dans le deuxième
plateau de la balance se trouverait le "donativo"
comme "Label" de charité, d’honnêteté
et de sincérité. En fait, il n’y a pas d’opposition,
en revanche peut être besoin d’explications ? Beaucoup
d’hébergeurs professionnels sur le chemin, selon
les circonstances, nourrissent et logent gratuitement
certains pèlerins sans le crier sur les toits. Associer
le "donativo" à un manque de générosité
des hébergeurs professionnels est une erreur de
pèlerin n’ayant pas pris le temps de fonder sa "spiritualité"
sur une étude un peu approfondie. Donc, prenons
le temps, et penchons-nous sur ce qu’est un "donativo"
!
A
l’origine, ce terme espagnol, que l’on pourrait
traduire par "don" ou "contribution",
était exclusivement réservé à la contribution que
l’on donnait dans les accueils "chrétiens"
(église, couvents, monastères etc…) sur le chemin
espagnol, non pas par opposition, mais par différenciation
des accueils municipaux, qui eux avaient un "tarif
établi", et souvent modeste (Espagne, mais cela
change, car les temps changent). Précisons que "donativo"
ne veut pas dire "je donne ce je peux",
et encore moins "c’est gratuit", mais
étonnamment "je donne ce que je veux",
car, si ma bourse est bien pleine, comment expliquer
à ma propre conscience que je donne moins que la
somme théorique nécessaire à la couverture des frais
? Profiterais je d’une situation pour "gagner"
quelques sous, alors que j’ai les moyens ? Ou, au
contraire, puis-je saisir l’occasion pour aider
la structure à recevoir ceux qui n’ont justement
pas les moyens ? D’un autre côté, partir sur le
chemin sans aucun moyen, comptant exclusivement
sur la générosité et la charité chrétienne, est
aussi un calcul que ma conscience a du mal à interpréter
! Même au moyen âge, les pèlerins ne partaient pas
sans une certaine bourse ! Eventuellement, ils donnaient
du temps de travail, car, si l’hôte se doit d’être
généreux, cela n’est pas non plus interdit au pèlerin.
La
traduction française du terme pourrait être "libre
participation aux frais". Et des frais, il
y en a. Ils peuvent être quantifiés facilement,
et chacun peut les apprécier à, en théorie, leurs
justes valeurs. Bien sûr, une famille d’accueil
recevant trois pèlerins dans le mois, et un gîte
en recevant deux cent cinquante, n’ont rien à voir.
Si le premier le fait juste pour rendre service,
et c’est très bien, le second le fait juste pour
vivre, et ce n’est pas illégitime non plus. Le premier
a un autre boulot ou une retraite à côté et pas
d’investissement, le second est occupé à plein temps,
et doit, quoi qu’il arrive, assumer toutes ses charges.
Il est de notoriété publique qu’on ne fait pas fortune
en tenant un gîte, et beaucoup d’hébergeurs ont
nécessité d’avoir un revenu financier annexe, sous
forme d’un conjoint qui travaille, ou une activité
complémentaire. S’il n’y avait que des familles
d’accueil ne recevant que trois pèlerins par mois
sur le chemin, comment absorber et répondre aux
attentes des quelques 10 000 pèlerins qui sont sur
le chemin en France, et quelques 100 000 en Espagne
? C’est pour cela qu’il y a des gîtes municipaux
et des hébergeurs professionnels.
Maintenant,
demander que les gîtes à forte capacité aient une
exploitation aléatoire, financièrement au bon vouloir
d’une libre participation aux frais, ne peut se
concevoir que si ces structures sont garanties (sponsorisées)
par un organisme tutélaire, capable d’essuyer d’éventuels
déficits. S’ils ont les locaux sans frais, s’ils
ont les employés bénévoles, et si c’est leur vocation,
alors oui, il faut qu’ils le fassent. Même si ce
n’est jamais sans frais, car ce n’est jamais sans
frais, ces organisme tutélaires pourraient s’appeler
l’Eglise ou l'Etat. Et ce n’est pas parce que cette
Eglise ou cet Etat n’ont pas réellement les moyens
d’assumer leurs pèlerins et voyageurs, ni la capacité
à satisfaire l’aspiration charitable de leurs adeptes,
qu’il faut maladroitement jeter l’opprobre sur les
hébergeurs professionnels qui font honnêtement leur
travail (en fait cette habitude est relativement
limitée). A noter qu’en Espagne, les gîtes municipaux
(non donativo, mais peu onéreux), réservés exclusivement
aux pèlerins, ont été, et sont encore, souvent subventionnés
par les collectivités locales: c’est un choix en
vue du développement du tourisme et en Espagne;
Eglise et Etat ne sont pas à proprement parlé séparés
(ça change, le Dieu "gestion" est passé
par là). On peut d’ailleurs constater un fort développement
de l’hébergement privé en Espagne parce que c’est
une réelle demande. Le pèlerin moderne tient à un
certain confort et a une promiscuité réduite. Sont
ce de vrais pèlerins, c’est un autre débat: ce sont
des pèlerins ! A noter aussi que bon nombre d’hébergements
dans les locaux catholiques du style abbaye, couvent
etc… (en France) ne sont pas en donativo, gestion
oblige, ou en donativo avec "un minimum de
…", et c’est logique. Pourquoi demander par
exemple aux moines Trappistes de vendre leur bière
en donativo ?
La
charité chrétienne ne se situe pas à ce niveau.
Sans rentrer dans un débat théologique, la charité
est "l’amour de Dieu et l’amour de son prochain",
autrement dit faire "le bien pour son prochain".
Le "juste prix" peut être une expression
de cette charité, tout comme la juste appréciation
de libre participation aux frais. Car en vérité,
qu’est ce qui différencie un donativo d’une exploitation
privée, quant aux charges réelles ? Le "salaire"
de l’hospitalier ? Et peut-on en vouloir à ce professionnel
de désirer vivre de son travail ? Et tant qu’à faire
à peu près bien, gage de pérennité et de bonne réputation,
d’autant que s’il est encore un membre "actif"
de la société, il cotisera et payera des charges
sociales, expression d’une autre solidarité, la solidarité
nationale. ? Qui plus est, tous les ans, il continue
d’investir pour l’amélioration de son outil de travail.
Dans
ces réflexions, on voit toute l’ambiguïté du statut
de "donativo": exploiter un gîte de forte
capacité professionnellement et se déclarer donativo
est un "risque financier", et peut-être
un "contre sens" si l’exploitant n’est
pas l’Eglise ou l’Etat. ! Soit vous êtes "famille
d’accueil" et pratiquez le donativo, soit vous
êtes gîte à temps plein, inscrit sur les divers
guides etc.. et vous êtes hébergeur professionnel
! Mais j’encourage fortement les familles à devenir
famille d’accueil et à se faire connaître auprès
des associations jacquaires, on en a besoin. Il
reste aussi heureusement une solution: le statut
associatif, base de l’économie solidaire. Mais l’association
aussi à une contrainte de "gestion saine",
malgré le recours au travail bénévole et celui de
l’aide apportée par d’éventuelles subventions, ce
qui s’apparente à une exploitation professionnelle.
Lançons un deuxième appel auprès de ces associations
jacquaires pour qu’elles osent proposer un accueil,
on en a aussi besoin.
Au
fond, on peut constater qu’il n’y a donc pas de
réels problèmes quant à la technique financière
de gestion d’un gîte: il y a coût certain, variant
selon la formule d’exploitation, de plus ou moins
le salaire de l’hébergeur. Que ce coût soit ressenti
comme élevé par ceux qui brandissent la bannière
du "donativo" est seulement leur appréciation
du coût de la vie en général, et l’expression de
leur frustration d’un monde idyllique inexistant.
En sachant que n’importe quelle chambre d’hôtel
se paye 40,50 et 70€ en France, et qu'une nuitée
dans un camping varie de 7 à 18 €, le prix moyen
d’une nuitée en gîte, de 12 à 16 €, reste, il me
semble, acceptable et modéré. Donc, pourquoi en
vouloir à un hébergeur professionnel, et faire peser
sur lui une suspicion de profiteur?
A
contrario me permettrais-je de sous-entendre que
l’adepte du "donativo" pourrait être un
profiteur, ou pour le moins un hypocrite ? NON !
Prendre le chemin et aller à Santiago a toujours
et de tout temps représenté un certain budget. Ne
pas avoir ce budget, c’est avant tout l’assumer,
et point nécessaire d’en vouloir à la terre entière.
Bivouac, générosité des autres pèlerins et des acteurs
du chemin, vous y arriverez, gardez confiance; mais
de grâce, oubliez votre colère et ne tombez pas
dans l’amertume, votre chemin risquerait d’être
un "chemin sans issue". Soyez simple et
sincère, ne versez pas dans l’animosité ni la rancoeur,
ce n’est la faute de personne, c’est juste comme
ça, le chemin est avant tout acceptation.
Ceci
dit, soyez attentifs à ce que vos hôtes soient honnêtes
et respectueux, ainsi que charitables, c’est-à-dire
qu’ils prennent soin de vous, qu’ils fassent bien
leur travail, qu’ils vous portent attention et soient
à votre écoute, car vous n’êtes pas de simples clients,
vous êtes des Pèlerins. Partager, notamment du temps,
fait partie de leur contrat moral pour donner du
sens à leur vie, sinon ils seraient "professionnels"
d’autre chose qu’exploitant de gîte d’étape sur
le chemin de Compostelle. Dire qu’il n’y a pas de
brebis galeuses parmi eux serait une contre vérité,
mais "radio camino" s’en charge !
Il
nous reste à examiner le cas ambigu et anecdotique
du gîte privé de "capacité certaine" ayant
opté pour l’exploitation improprement appelé "donativo",
sous-entendu "ici c’est plus mieux qu’ailleurs"
(je suis méchant, je m’en excuse). Il s’agit souvent
simplement d’un statut fiscal particulier appelé
"complément de revenu familial". Quand
vous montez un gîte, si vous possédez déjà une protection
sociale parce que vous êtes à la retraite ou que
votre conjoint vous couvre, vous ne voyez pas l’utilité
de vous inscrire au registre du commerce pour payer
des charges sociales. Vous ne le faites donc pas,
et vous optez pour ce fameux statut fiscal qui vous
fera simplement déclarer dans vos revenus familiaux
un revenu complémentaire. Vous n’êtes donc pas soumis
à un statut professionnel, et vous échappez entre
autre à la nécessité de percevoir les taxes de séjour
au bénéfice des offices de tourisme. A priori, il
semblerait aussi que vous échappez à la réglementation
en cours limitant le nombre de lits d’hébergement
que vous pouvez proposer. Vous êtes tenu en revanche
de déclarer vos revenus, avec je pense une certaine
limite de chiffre, au risque de vous voir taxer
comme exploitation professionnelle. Quant à l’assurance
professionnelle couvrant votre activité "complémentaire",
il faudrait se renseigner plus en avant: un assureur
vous demandera un prévisionnel pour savoir où il
met les pieds, et 3 ou 250 par mois, ce n’est pas
la même chose !
Concurrence
déloyale ? Franchement, on s’en fout ! C’est anecdotique
sur le chemin, l’important est juste de comprendre
comment ça marche, et puisque la possibilité existe,
rien à redire. Le label "donativo" n’est
pas un label de qualité d’accueil, juste un statut
fiscal ! Que vous donniez moins d’argent, en échange
du service qui vous est rendu, vous regarde, et regarde
cet exploitant. Il est de sa responsabilité de vous
offrir quand même un bon service si sa gestion d’exploitation
aléatoire le lui permet, et de la vôtre, ami pèlerin,
de l’estimer. Je connais des gîtes dits "donativo"
exemplaires, j’ai entendu parler de certains autres
déplorables. Il existe aussi des hébergeurs, rares,
qui sont inscrits au RC et payent des charges, et
ont quand même une exploitation type "libre
participation aux frais" ! C’est un choix,
et on le respecte.(avec admiration ou un frisson
dans le dos…). Quoiqu’il en soit, la polémique s’éteint
d’elle-même, car il n’y a pas matière à fouetter
un chat ni de poissons à frire, et donc il est aussi
inutile de pleurer sur le sort de cet hébergeur
professionnel qui a choisi son métier, je pense
qu’il est heureux de son choix, et il n’est pas
à plaindre.
C’est
dans la seule résonnance du terme donativo que l’on
trouve tous nos paradis perdus, toute notre nostalgie,
et notre croyance à un idéal pur et réconfortant.
Il en serait bien différemment si on prenait l’habitude
de dire "libre participation aux frais"
! Il serait plus clair qu’il y a des frais, et dans
ceux-ci, vous seriez plus impliqué à faire travailler
l’hospitalier, gratis ou pas. En fait, il ne s’agit
que d’un choix de système d’exploitation financier,
et en aucun cas un "label" quelconque.
Ceci
dit, n’hésitez pas à être généreux dans un donativo,
votre spiritualité s’en trouvera d’autant élevée
que votre portefeuille en sera allégé par cette
bonne action. Maintenant, amis Pèlerins, soyez sûrs
que la très grande majorité des hébergeurs du chemin,
professionnels, associations, donativo, et organismes
religieux, exercent tous dans une sorte de vocation,
et prendront le plus grand soin de vous, c’est aussi
dans ce sens que le chemin est et reste charitable.
Vous y trouverez générosité, amour et réconfort.
Bon chemin.
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