Le
séjour d'Aimeri Picaud à l'église Saint-Jacques d'Asquins
et
la composition du LIBER SANCTI JACOBI (1135-1140)
André
MOISAN
Conférence
donnée à l'église d'Asquins dans le cadre du Colloque
de Vézelay (7-9 sept. 1984), organisé par la Société
des fouilles archéologiques de l'Yonne sur le thème
« Aux origines du Vézelay médiéval ».
Annales
de Bourgogne, t. 57, 1985
Il
semble paradoxal de rapprocher le nom d'Asquins, modeste
village bourguignon, de celui d'une oeuvre prestigieuse
du XIIe siècle, le Liber Sancti Jacobi, conservé aux
archives du chapitre de la cathédrale de Compostelle,
sous l'appellation de Codex Calixtinus. Pourtant, c'est
à l'ombre de l'église Saint-Jacques d'Asquins que le
prêtre Aimeri Picaud de Parthenay le-Vieux en Poitou
(1) mit la dernière main à son ouvrage, avant de le
porter en 1139-1140 à Compostelle, pour en faire hommage
à l'apôtre saint Jacques et à son célèbre sanctuaire.
Quelque trente ans plus tard, en 1173, Arnauld du Mont,
moine de Ripoll, allait transcrire pour son couvent,
la majeure partie des cinq livres que contenait le volumen
(2).
Certes,
le rôle d'auteur n'est pas unanimement reconnu par la
critique au prêtre poitevin ; mais il n'est pas dans
mon propos de reprendre ici les problèmes fondamentaux
que posent la rédaction du Codex et son état actuel.
J'ai tenté de le faire ailleurs, en revendiquant, à
la suite des professeurs A. Hâmel et R. Louis, la paternité
du Liber-Codex pour Aimeri Picaud (3). Il me semble
intéressant de revenir au sujet sous un aspect particulier,
puisque ce colloque en offre l'occasion. Il parait opportun
de s'intéresser ici même à la personnalité de ce poitevin,
à propos duquel les chroniques sont muettes, mais qui
joint curieusement à son nom le surnom d'Olivier d'Asquins
(4), de s'interroger sur son séjour et son travail près
de la colline et de la basilique de Vézelay, d'assister
à son départ pour la Galice, muni d'un sauf- conduit
du pape Innocent II.
I.
La
venue d'Aimeri Picaud, de son Poitou natal à l'église
Saint-Jacques d'Asquins en dépendance de Vézelay (5),
son séjour studieux avant le départ pour l'Espagne,
ne laissent pas d'intriguer. Un simple parcours de son
Jacobus le montre grand voyageur, clericus vagans, moine
gyrovague venu peut-être de Cluny, abbaye qui figure
en tête des dédicataires (6), plus vraisemblablement
de celle de Saint-Eutrope de Saintes, où il a pu faire
ses études, peu éloignée de Parthenay et prieuré clunisien
depuis 1081 (7). Est-ce pure fantaisie s'il indique,
par deux fois, quatorze années pour son enquête (8)
? Lorsqu'il élaborera un office digne de l'Apôtre pour
les chanoines de Compostelle, il adoptera pour les Matines
le schéma monastique (12 leçons) et non canonial (9
leçons). On ne peut mieux trahir ses origines.
Le
Guide du Pèlerin, en particulier, le montre parcourant
les routes de pèlerinage, surtout la Via Turonensis
qui passe par la Saintonge. On le voit contemplant telle
châsse précieuse, notant les moeurs et le parler des
gens qu'il rencontre, les heurs et malheurs qu'il a
lui-même éprouvés et dont il a été témoin, de menus
incidents de parcours ou des rencontres qu'il a faites,
en un mot parlant d'expérience (9), non sans un fort
esprit de clocher qui le fait vanter avec outrance les
Poitevins et couvrir de mépris les voisins Gascons (10).
Un
ou plusieurs voyages l'ont déjà emmené à Compostelle
dont il décrit le sanctuaire avec la précision d'un
guide touristique, tandis qu'il observe le va-et-vient
des pèlerins (11). Il a pu approcher l'archevêque Diego
Gelmirez, grand réformateur de son diocèse et l'un des
dédicataires du Codex ; il a noté avec sévérité les
habitudes des chanoines et sans doute conçu là, plutôt
sollicité que par sa pure initiative, le grand projet
de réforme de la liturgie et le renouveau du culte de
Saint-Jacques. D'autre part, divers indices font penser
à un séjour d'Aimeri à l'abbaye de Saint-Denis (12)
; un voyage en Terre Sainte est probable, puisque l'ouvrage
est aussi dédié à Guillaume, patriarche de Jérusalem
(13). Une lettre d'Etienne, patriarche mort en 1130,
à l'archevêque Gelmirez, pour qu'il permette à un certain
Aymerico fratri et concanonico nostro de séjourner dans
son diocèse, dans le but de quêter pour les Lieux saints,
a des chances d'indiquer notre poitevin (14).
Enfin,
le lecteur perçoit au travers de multiples pages du
Liber, un tempérament plein de santé, alliant à une
rudesse et à une vigueur plus d'une fois outrancières,
une curiosité toujours en éveil et un savoir encyclopédique.
Rien donc en cet homme, d'un travailleur en chambre,
d'un moine reclus. Ne serait-il pas un bénédictin qui
a relâché ou rompu ses liens avec son couvent, d'autant
qu'il se dit presbyter et non monachus ? Pas si surprenant
dès lors qu'un tel original prédisposé à la mouvance,
se soit un jour arrêté près de la colline de Vézelay,
à l'ombre d'un de ces sanctuaires de pèlerinage qu'il
affectionne.
Le
prêtre Aimeri arrivant au village d'Asquins dont l'église
avait été consacrée en 1079 par Aganon, l'évêque d'Autun
(15), put prendre place parmi les chapelains du lieu
(16). Si rien n'est dit dans la Chronique de Vézelay
sur son activité religieuse, c'est sans doute que son
séjour fut occupé essentiellement par la mise au point
du Liber Sancti Jacobi. On le devine la mémoire bourrée
des souvenirs de ses voyages, les mains pleines des
notes recueillies çà et là — à preuve, la série des
vingt-deux miracles collectés en des lieux très divers
et qui constitueront le livre II, la tête farcie de
légendes épiques sur Charlemagne, qu'il a entendues
aux portes des abbayes, dans les lieux de pèlerinage,
sur les routes suivies par les jacquets et les jongleurs.
Comment expliquer autrement le surnom d'Olivier d'Asquins
qui dut être donné à ce singulier personnage par son
entourage et qu'il prend plaisir à accoler à son propre
nom ? Son arrivée pourrait être proche de celle d'Hugues
le Poitevin qui entre à Vézelay sous l'abbatiat de Ponce
de Montboissier (1138-1161) et qui rédigera entre 1156
et 1167 l'Historia Vizeliacensis monasterii, avant de
devenir notaire de l'Abbé Guillaume en 1161 (17).
Le
séjour d'Aimeri n'est pas en tout cas antérieur au début
de 1132, date de la consécration de la basilique, en
présence du pape Innocent II (18). Le Guide signale
en effet l'ingens et pulcherrima basilica (19). Le miracle
n° 13 du Livre II du Codex, daté de 1135, indique que
la rédaction de ce Liber Miraculorum n'était pas achevée
avant cette date. Le Guide, cinquième et dernier livre
de la compilation, mentionne la mort du roi Louis VI
le Gros survenue en 1137. Enfin, le dernier miracle
daté de 1139 et dont Brun, habitant de Vézelay, fut
le bénéficiaire, est rapporté tout à la fin du Codex,
ajouté sur un nouveau feuillet. Cette date peut donc
être retenue comme le terminus ad quem de la rédaction
définitive du Jacobus et la fin du séjour de son auteur
à Asquins. Elle s'accorde d'ailleurs avec la mention
de deux des dédicataires qu'Aimeri sait être encore
en fonction : Diego Gelmirez mort en 1139 ou 1140 et
Guillaume de Messines, patriarche de Jérusalem de 1135
à 1139.
On
est donc fondé, à la suite de R. Louis, qui a serré
de près la question, à estimer qu'Aimeri Picaud résida
à Asquins « au cours des années qui précédèrent 1139-1140
» et que « le travail du compilateur a été exécuté principalement
entre 1135 et 1139 » (20). Un dernier indice de ce séjour
: il faut s'être établi au pays de Vézelay et l'avoir
sillonné pour faire querelle aux moines voisins de Corbigny
(à quelques lieues au sud de Vézelay) qui prétendent
conserver le corps de Saint Léonard, alors qu'il est
en Limousin (21).
II.
Le
Jacobus qu'Aimeri Picaud envisageait d'offrir à Saint-Jacques
comportait, dans son état définitif (22) 192 folios,
et était divisé en cinq sections ou livres.
Le
premier, le plus abondant (fol. 1-139v), est un recueil
de pièces destinées aux diverses fêtes liturgiques de
l'Apôtre : un lectionnaire pour les messes, avec des
extraits d'homélies des Pères de l'Eglise ou des sermons
d'Aimeri sous le couvert du pape Calixte II, un antiphonaire
et un missel très variés avec les mélodies appropriées.
Le tout, dans le but de pallier la pauvreté et le désordre
de la liturgie, lesquels sont dénoncés dans l'épître
préliminaire sous la plume du pape Calixte (23).
Le
livre II (fol. 140r-155v) rassemble 22 miracles de Saint-Jacques
qui ont eu lieu ou ont été recueillis en maints endroits
et dont la plupart se situent au début du me siècle
; ils fourniront les lectures de l'office des Matines
(24). Le troisième Livre contraste par sa brièveté (fol.
155v-162v) ; il paraît être une mise en réserve d'éléments
qu'Aimeri ne veut pas négliger : deux versions de la
translation des reliques de l'Apôtre de Jérusalem à
Compostelle (25), des indications sur la liturgie et
la fête ancienne, des pratiques des pèlerins.
L'historia
Turpini, ou Livre IV, comprend 29 folios, selon le comptage
particulier dû à la séparation dont elle fut victime
en 1609 par la main du jésuite Mariana. Une heureuse
initiative du professeur Louis l'a fait remettre à sa
place dans le Codex. Cette section, qui se veut historique
en se présentant comme un reportage fait par l'archevêque
lui-même (26), n'est pas la moins surprenante. Aimeri
Picaud s'ingénie à christianiser à outrance la matière
épique, celle relative à Roncevaux en particulier. Ainsi,
une apparition de saint Jacques à Charlemagne déclenche
la première des quatre expéditions en Espagne, celle
qui ouvre la route de Compostelle où se tiendra un concile
après la pacification ; les héros prennent plus que
jamais figure de martyrs, surtout Roland, le plus grand
de tous, et dont la mort est sainte. L'auteur, au cours
de ces pages, ne cesse de moraliser en proposant de
si nobles exemples. Il serait trop long d'examiner ici
la transformation audacieuse — et médiocre du point
de vue littéraire — qu'il fait subir à la geste des
poètes, spécialement aux pages sublimes de la Chanson
de Roland (27).
Le
Livre V constitue un guide où, je le rappelle, le prêtre
voyageur et pèlerin a rédigé les notes « touristiques
» qu'il a prises, et mis son expérience de la route
au service des jacquets, tant pour les protéger et éveiller
à l'occasion leur amour du beau, que pour leur rappeler
que la route est sainte (28). Rien donc de tellement
hétéroclite, comme plusieurs l'ont cru, dans l'assemblage
du Codex, et qui empêcherait d'y déceler l'idée directrice
d'un homme et la main d'un unique rédacteur. La fréquentation
des textes à laquelle, semble-t-il, les médiévistes
n'ont pas toujours accordé une lecture détaillée, convainc
le lecteur que le même écrivain se révèle du début à
la fin, avec son tempérament, ses enthousiasmes et ses
emportements, son style parfois truculent, son application
à imposer ses vues.
Est-ce
à dire pour autant qu'Aimeri Picaud a tout rédigé en
un seul lieu et d'une seule veine ? Il a fait comme
tout un chacun, recueillant ici et là, au cours de ses
périples, l'oeil et l'oreille toujours en éveil, tel
ou tel miracle raconté ou déjà rédigé (29), prenant
des notes, organisant ensuite la matière collectée.
On est surpris de le voir lecteur assidu de plusieurs
épopées relatives à la guerre d'Espagne, les malaxant
pour élaborer un texte composite. Les positions divergent
sur l'ordre de rédaction des cinq livres. C'est dans
le calme du village d'Asquins que l'auteur a vraisemblablement
organisé l'ensemble, aidé, plutôt pour la mise en page,
par la flamande Gerberge présente à ses côtés, et qui
l'accompagnera à Compostelle (30).
Le
Guide qui cite la date de 1137 a dû être mis au point
juste avant le départ de 1139-1140, en tout cas après
le Turpin dont il mentionne plusieurs légendes (31).
La collecte des homélies patristiques s'est faite facilement
dans le scriptorium d'une ou plusieurs abbayes, par
exemple à Saint-Denis et à Vézelay. Quant aux sept homélies
intitulées Sermo Calixti, et dont le ton est celui d'un
prédicateur populaire et en rien celui d'un pontife,
elles sont sorties tout droit de la plume du prêtre
poitevin qui donne libre cours à ses idées. On les verrait
bien élaborées, avec une rédaction suivie, dans le silence
de notre village. Tel Rabelais qui, de sa table de travail
à la Devinière, s'exaltait en suivant dans son imagination
les évolutions de la guerre pichrocoline dans la plaine
de Seuillé, Picaud harangue un public qu'il a sous les
yeux, pourfend en de longues envolées les tièdes comme
les malfaiteurs, et ne cesse de vanter sa marchandise,
si l'on peut dire (32). L'assemblage des pièces de l'antiphonaire
et de la messe avec leurs mélodies grégoriennes, ainsi
qu'un supplément de pièces notées à la fin du Codex
(fol. 185r-190v), constituent une anthologie intéressante
(33).
L'attribution
de nombre de ces textes à des auteurs français pose
problème. Comment savoir, à défaut d'oeuvres originales
des auteurs cités, si la paternité est réelle, ou si
le compilateur n'a pas voulu rendre hommage à des personnages
qu'il avait rencontrés, en leur attribuant des textes
anonymes, quitte à les avoir composés lui-même (34)
? Du moins la dernière des hymnes, Ad honorem regis
summi (fol. 190v-191), qui résume les 22 miracles, porte
en clair son nom. Elle se termine par le cri des pèlerins
E ultreia esus eia ! juste avant la lettre de protection
attribuée au pape Innocent II, au moment où Picaud se
dispose à prendre la route.
Est-il
donc un faussaire d'envergure, lorsqu'il se fait simple
transcripteur de la narration « historique » de l'archevêque
Turpin, lorsqu'il attribue au pape Calixte II (1119-1124)
des oeuvres qu'il n'a jamais écrites, sermons, prologues
et monitions, et, avec son chancelier Aimery, la description
de la ville et de la basilique de Compostelle, ensemble
qui a fait donner au manuscrit le titre de Codex Calixtinus
? Dans une époque si différente de la nôtre, où chronique
et légende font bon ménage, il faut voir là plus un
procédé et une intention qu'une supercherie (35) , à
placer dans un contexte beaucoup plus large, celui de
la réforme de la liturgie en Espagne par l'abandon du
rite isidorien (dit aussi mozarabe ou wisigothique),
au profit du rite romain.
L'action
des papes et de Cluny, abbaye toute puissante outre
Pyrénées, avait rencontré de vives résistances. Aimeri
Picaud n'aurait-il pas offert ses services à l'archevêque
Gelmirez, grand ami de Calixte II, ou devancé ses intentions,
alors qu'il était confronté en particulier aux habitudes
routinières de ses chanoines (36) ? Qui penserait à
contester, dans la lointaine Galice, l'authenticité
des écrits du pape bourguignon défunt, comme de la Chronique
d'un Turpin entré dans la légende et bien connu sur
les routes du pèlerinage ? Pour cette entreprise, il
fallait la main motivée d'un auteur, non d'un rassembleur
de documents hétéroclites. Le calme séjour d'Aimeri
Picaud près de l'église d'Asquins, entre 1135 et 1139,
se révélait propice à la mise en pages définitive du
Jacobus.
III.
Le
manuscrit s'achevait (fol. 192r) par une lettre du pape
Innocent II dont Aimeri ne pouvait prudemment invoquer
la protection que durant son règne, soit avant 1143
(37). La curieuse adjonction au verso libre du feuillet,
du miracle de Brun de Vézelay, daté de 1139, alors que
l'ouvrage a reçu sa conclusion, ne s'explique, je le
répète, que par une initiative de dernière heure, sur
les lieux mêmes du miracle. Est-ce un hommage teinté
de nostalgie à ceux qui l'ont accueilli ? On ne peut
en tout cas signifier plus clairement le séjour d'Asquins.
L'epistola
domni pape Innocentii est assurément un faux magistral
qui revêt habilement l'apparence du vrai par une bonne
imitation des documents romains. Le pape y confirme,
de toute son autorité, l'authenticité, la véracité et
la valeur du précieux document, fulminant l'anathème
contre ceux qui inquiéteraient sur la route les porteurs
du Liber et ceux qui, après sa remise au sanctuaire
galicien, l'emporteraient ou le détérioreraient (38).
L'injonction solennelle est suivie de la mention de
huit cardinaux qui ne se contentent pas de l'habituelle
signature, mais attestent la valeur du livre (39). Cette
liste est intéressante, car il est aisé de vérifier
qu'elle n'est pas factice, et qu'Aimeri ne pouvait être
pris en défaut. Plusieurs de ces prélats figurent en
bas d'actes relevant des pontificats de Calixte II et
d'Innocent II, entre les années 1139 et 1143 40. Plusieurs,
au témoignage de l' Historia Compostellana, soutinrent
l'archevêque Gelmirez dans ses rapports avec le pape
et la curie romaine, comme dans la réforme de son diocèse
(41). En première place des signataires, le chancelier
Aimeri de la Châtre, originaire de Bourges, créé cardinal
en 1120 par le pape Calixte, chancelier en 1121, mort
en 1141 (donc en vie lorsqu'Aimeri va quitter Vézelay),
confident des papes Calixte II, Honorius II et Innocent
II, ami et protecteur de Gelmirez. Le dernier signataire
est Aubri que Pierre le Vénérable avait nommé abbé de
Vézelay en 1130-1131, malgré l'opposition des moines
de Cluny, avec l'approbation d'Innocent II. Il est cité
ici comme légat et évêque d'Ostie, appellations qui
sont les siennes à partir de 1136-1137 (42).
Comment
Aimeri Picaud se révèle-t-il si bon connaisseur ? Il
a pu s'inspirer de documents romains lus au cours de
ses pérégrinations, peut- être en passant par Rome,
retour de Terre Sainte. Il y a plus vraisemblable :
le prêtre Aimeri, à moins d'en avoir été informé sur
place par la suite, n'aurait-il pas rencontré ou aperçu
Innocent II et sa suite, lors de leur venue en France
et plus précisément du passage de ce pape à Vézelay,
venant d'Auxerre, dans les débuts de 1132, pour la consécration
de l' ecclesia peregrinorum mentionnée plus haut ? On
est renseigné sur les principales étapes de ce périple
en 1131-1132 : Saint-Benoît-sur-Loire (janvier 1131),
Chartres, Saint-Denis, Beauvais, Reims et Auxerre (28
novembre 1131) où Suger fixe son séjour jusqu'à son
départ au printemps de 1132 43.
Au
travers de ces indices, on perçoit tout un arrière-plan
qui enlève au Liber l'impression d'être l'entreprise
isolée d'un clerc : il tient à faire oeuvre d'Église,
même avec la Chronique de Turpin, et la pensée du pèlerinage
avec tout ce qu'il a expérimenté là-bas et sur les routes
qui y mènent, ne le quitte plus à sa table de travail.
Comment ne pas le sentir (toujours par le contact essentiel
avec le texte) déterminé et enthousiaste, affronté à
une tâche qu'il tient à assumer ? La situation est alors
beaucoup moins énigmatique pour le médiéviste qui cherche
les tenants et aboutissants de l'oeuvre.
A
la fin du Livre V, dans le colophon (fol. 184v), Aimeri
note que le Codex a été accueilli avec empressement
par l'église de Rome, et qu'il a été transcrit en bien
des endroits, à Rome, à Jérusalem, en Gaule, en Italie,
en Allemagne, en Frise, et surtout à Cluny (44). Lesdites
transcriptions ne sont que nouvelle supercherie et vanterie,
excusables chez celui qui prévoit des résistances à
son louable projet, explicables si l'on songe qu'Aimeri
avait pu en faire partager l'idée à maint homme d'église
qu'il rencontra en des lieux sans doute fort divers.
Ultime précaution en tous les cas, pour les étapes de
la route et le moment de la remise du Jacobus aux dignitaires
de Compostelle.
Ainsi,
Aimeri Picaud et Gerberge prirent le chemin de l'Espagne
aux premiers beaux jours de 1140, sinon quelques mois
plus tôt, emportant leur Liber, a domno papa Calixto
primitus editum (fol. 192r). On ne sait rien de leur
voyage, de l'offrande à Saint-Jacques, de l'accueil
reçu près du chapitre de la cathédrale, de la contribution
effective de l'office modèle à la refonte de la liturgie
compostellane. Du moins fut-il conservé avec quelques
égards dans les archives, puisqu'en 1173 le moine Arnauld
du Mont le découvrit dans son intégrité, et s'empressa
d'en transcrire pour son monastère de Ripoll la plupart
des folios, fort de la caution des papes Calixte et
Innocent (45).
A.
Hämel, pour sa part, a recueilli des indices intéressants
sur l'histoire postérieure du Codex, à travers les diverses
fortunes du Pseudo-Turpin, lequel fut tenu pour suspect
dès la fin du Moyen Age, puis détaché et relégué dans
l'oubli (46). On ne sait pas non plus si l'archevêque
Gelmirez eut connaissance de la venue des deux pèlerins
: sa mort est mal située entre la fin de l'année 1139
et les premiers mois de 1140 (47). L'Historia Compostellana
elle-même est muette, car elle était destinée à mettre
en lumière l'oeuvre réformatrice du prélat et elle s'arrête
avec cette mort.
Du
moins — et c'est ce qui retient surtout l'intérêt du
médiéviste — la Chronique de Turpin n'a cessé, durant
tout le Moyen Age, d'être copiée en tout ou en partie,
traduite, utilisée pour entrer dans les chroniques et
les compilations les plus diverses, quitte à supplanter
de nombreuses fois la version fameuse de la Chanson
de Roland, sans doute à cause de l'autorité d'un document
qui se prétend un reportage en direct (48). Enfin, il
ne faut pas oublier que c'est en lisant et relisant
la Chronique de Turpin et le Guide du Pèlerin que J.
Bédier et E. Mâle bâtirent leur théorie sur le rôle
déterminant des abbayes et lieux de pèlerinage fréquentés
par les jongleurs, dans l'élaboration et la diffusion
des chansons de geste, théorie qui se trouve résumée
dans la célèbre formule : « Au commencement était la
route » (49).
Il
ne paraît pas inutile d'évoquer un fait oublié et méconnu
: le nom d'un modeste village à l'ombre de Vézelay associé
à celui du rédacteur du prestigieux Liber sancti Jacobi.
— André MOISAN.
---------------
-
(1). Pictavensis Aymericus Picaudus de Partiniaco veteri
(fol. 192r) ; Aymericus Picaudi presbiter de Partiniaco
(fol. 190v), dans Liber Sancti Jacobi. Codex Calixtinus
- I. Texto, éd. WHITEHILL (W. M.). Santiago de Compostela,
1944.
-
(2). Lettre d'Arnauld du Mont à son abbé dans VIELLIARD
(J.), Le Guide du Pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle,
Mâcon, 3e éd., 1963, p. 127-129.
-
(3). « Aimeri Picaud de Parthenay et le Liber Sancti
Jacobi », dans Bibliothèque de l'Ecole des Chartes,
t. 143, 1985, p. 5-52. Les positions fondamentales d'A.
Hämel, P. David, A. de Mandach y sont examinées. Ces
deux derniers ne voient en Picaud qu'un remanieur ou
un rassembleur mais pas l'auteur-rédacteur.
-
(4). Aymericus Picaudus... qui etiam Oliverus de Iscani
(fol. 192r).
-
(5). Dans l'Historia Vizeliacensis monasterii, Patr.
Lat., CXCIV, 1580, Hugues de Poitiers mentionne Sanctum
Jacobum in Esconio, obedientia Vizeliaci. On consultera
de préférence l'édition parue dans les Monumenta Vizeliacensia,
2 t., éd. R. B. C. Huygens, Turnholt, 1976 et suppl.
1980 (« Corpus christianorum continuatio mediaevalis
», 42). Une bulle du pape Lucius III (19 décembre 1182)
cite les églises d' Asconii et Sancti Petri quae sunt
in radice montis ipsius villae, cf. CHEREST (A.), Vézelay
: étude historique, III, Auxerre, 1868, p. 177. Autres
mentions en 1267 (Asconium), p. 213 ; en 1351 (Asquen),
p. 252. Dans l'Histoire du Roi Louis VII de Suger (publiée
dans l'éd. de la Vie de Louis le Gros, cf. infra, note
43) : Escuanum, p. 159. Cherest note (ibid, I, p. 88)
que « la route de Vézelay à Auxerre, qu'on présente
au xne siècle comme une des plus anciennes et des plus
fréquentées du pays passait par Asquins ».
-
(6). Calixtus... sanctissimo conventui cluniacensis
basilicae... Guillelmo patriarchae hierosolimitano et
Didaco compostellanensi archiepiscopo... salutem et
apostolicam benedictionem in Christo (fol. 1r).
-
(7). L'abbaye fondée près de Saintes avait été concédée
à Saint Hugues, abbé de Cluny, en 1081, par Guillaume
VIII d'Aquitaine, comte de Poitiers. Voir Gall. Christ.,
II, 1904 et COTTINEAU (Dom L. H.), Répertoire topo-bibliographique
des abbayes et prieurés, II, Mâcon, 1937, 2927-8. La
longueur exceptionnelle de la Passio beati Eutropli
Sanctonensis episcopi et martyris, dans le Guide (fol.
174v-177v), s'expliquerait ainsi. — J. Richard, dans
son étude « Pour la connaissance d'un type social un
« jongleur » bourguignon du XIIe siècle », dans Annales
de Bourgogne, XXV, 1953, p. 182-185, a suggéré de voir,
à l'origine du surnom « Olivier d'Asquins », une référence
à l'activité intellectuelle d'un clerc qui aurait été
un récitant de chanson de geste. Aimeri Picaud, en tout
cas, n'est pas à identifier à un « Aimericus canonicus
», chanoine de Jérusalem, envoyé par Gormond de Picquigny
recueillir des dons en Espagne, contrairement à mon
hypothèse, dans l'étude citée à la note 3, p. 31. Voir
le Cartulaire du chapitre du Saint-Sépulcre de Jérusalem,
éd. G. Bresc-Bautier, Paris, 1984, n°8 58 et 66.
-
(8). ... quatuordecim annorum spacio perambulans terras
et provincias barbaras, quae de eo scripta inveniebam...
diligenter scribebam (fol. 1r) — quae propriis occulis
intuitus sum XIIII annis perambulans Yspaniam et Galleciam...
pro certo scribere... non ambigo (fol. Iv de l'Historia
Turpini, au début du Livre IV, sous le couvert de l'archevêque
Turpin).
-
(9). Guide, p. 38 (in memetipso probavi quod aio : vidi...),
122 (une rue de Poitiers), cf. fol. 83r (olim vidi,
à Saint-Gilles).
-
(10). Ibid., p. 17-20.
-
(11). Ibid., chap. IX.
-
(12). Voir GAIFFIER (B. de), « Les sources de la Passion
de Saint-Eutrope de Saintes », dans Analecta Bollandiana,
LXIX, 1951, p. 57-66 et la bibliographie, ibid., p.
176. Au début de la Chronique de Turpin (fol. 1v), mention
des chroniques royales conservées à l'abbaye et que
l'auteur a dû consulter.
-
(13). Des indications sur la basilique du Mont-Thabor
et les usages du pèlerinage dans le sermon Celebritatis
sanctissime (fol. 22v).
-
(14). Texte dans l'Historia Compostellana, Patr. Lat.,
CLXX, 1191. Voir les réflexions de R. Louis, à la suite
de dom Lambert, dans « Aimeri Picaud, alias Olivier
d'Asquins, compilateur du Liber Sancti Jacobi », Bull.
de la Soc. Nat. des Antiquaires de France, 1948-1949,
p. 95-96.
-
(15). ... Agano episcopus Eduensis dedicavit ecclesiam
de Esconio, dans Hist. Vizel. mon., loc. cit., 1539,
cf. 1584. Aganon est mort en 1098.
-
(16). L'Hist. Vizel. Mon., 1584, cite Blandinus subcapellanus,
Mainardus de Esconio, Galterius de Esconio.
-
(17). Hist. Litt. de la France, XII, 1763, p. 668-675.
-
(18). L'Hist. Vizel. mon., 1583-4, signale le fait sans
le dater : Stephanus episcopus Eduensis dedicavit ecclesiam
Peregrinorum, existente in Vizeliaco papa Innocentio
: quo tempore fuit ignoro. La date se déduit d'autres
sources : fin 1131 - début 1132, cf. infra, note 43.
-
(19). Guide, p. 52.
-
(20). R. Louis, op. cit. (note 14), p. 89.
-
(21). Guide, p. 52-56.
-
(22). Les 29 folios de la Chronique de Turpin sont à
compter en plus. J'ai examiné, art. cité (note 3), les
problèmes posés par l'arrachage, le remplacement et
l'adjonction de divers folios, avant et après 1173,
ainsi que la séparation de la Chronique. L'appellation
de Jacobus figure au fol. 1 du manuscrit : Ex re signatur,
Iacobus liber iste vocatur.
(23).
Texte reproduit dans l'Historia Karoli Magni et Rotholandi
ou Chronique de Turpin, éd. Meredith-Jones (C.), Paris,
1936, p. 344-347.
-
(24). Epître de Calixte, ibid., p. 345. En fait, on
devait les grouper avant 1173 deux par deux (2 x 12
leçons), en en ajoutant deux (fol. 194r).
-
(25). Hanc translationem a nostro codice excludere nolui
(fol. 156r), à propos de la Translatio major.
-
(26). Cf. supra, note 8.
-
(27). Cf. mon étude, « L'exploitation de l'épopée par
la Chronique de Turpin » (à paraître).
-
(28). L'avertissement revient sans cesse, visitandum
est, pour les lieux du pèlerinage à visiter en route.
L'extrême souci du détail dans la description des châsses
et de la basilique de Compostelle est révélateur de
l'appétit de savoir et du goût artistique de Picaud.
-
(29). A propos du 22e miracle, il écrit : Egomet veraciter
repperi inter Stellam (Estella) et Grugnum (Logroño)
hunc hominem... et omnia michi enarravit (fol. 155v).
Il parle d'un clerc français qu'il connaît, en train
de faire transcrire à Compostelle des miracles, contre
argent (fol. 156v). Ne s'agirait-il pas de lui- même
?
-
(30). [hunc codicem]... Aymericus... et Giberga Flandrensis
sotia ejus, pro animarum suarum redemptione sancto Iacobo
Gallecianensi dederunt (fol. 129r). Ils sont dits latores,
ce qui laisse entendre que Gerberge a eu part dans la
fabrication du Codex.
-
(31). Guide, p. 78-80 ; Chronique, éd. p. 109-111, 117-119,
185-201, 213-217.
-
(32). La longueur des sermons, celle en particulier
du sermon Veneranda dies (fol. 74r-93v), exclut qu'ils
aient pu être prononcés.
-
(33). Textes et mélodies occupent les fol. 101-139 et
185-190. Voir l'éd. du
Liber
(note 1, supra). IL Musica. Reproduccion en Fototipia
Seguid de la transcripcion por Dom German Prado, O.S.B.
-
(34). Une pièce (Annua gaudia, fol. 186r) est attribuée
au Magister Airardus Vizeliacensis.
-
(35). En cela, je serais moins catégorique que R. Louis,
dans l'article cité
(n.
14). L'entreprise d'Aimeri Picaud n'apparaît pas comme
celle d'un isolé audacieux qui veut imposer son oeuvre
; je l'ai placée dans un contexte galicien qui le fait
absoudre ou presque, cf. art. cité, supra, note 3.
-
(36). L'Hist. Camp., 916-918, 1034, 1202, 1216 et le
Guide, p. 120-122, ne sont pas tendres pour ces chanoines.
Sur cette réforme, voir Dict. d'Arch. chrét. et de Lit.,
XII, 1935, col. 395-397. Sur l'amitié entre Gelmirez
et Calixte II, voir les références, en particulier tirées
de l'Hist. Camp. dans BIGGS (A. G.), Diego Gelmi-rez,
first archbishop of Compostela, Washington, 1949 («
The Catholic Univ. of America, Studies in Mediaeval
History », N. S. XII).
-
(37). Innocent II est dit domnus, donc vivant, alors
que Calixte, mort en 1124, ne peut être dit que beatus
(épître préliminaire, prologues) et bone memorie dignus
(Guide, p. 118).
-
(38). Hunc codicem... verbis veracissimum, accione pulcherrimum,
ab heretica et apocrifa pravitate alienum, et inter
ecclesiasticos codices autenticum et carum fore auctoritas
nostra vobis testificatur, excommunicans et anathematizans...
illos qui ejus latores in itinere sancti lacobi forte
inquietaverint, vel qui ab ejusdem apostolica basilica,
postquam ibi oblatus fuerit, injuste ilium abstulerint
vel fraudaverint.
-
(39). Autenticum et veracem... pretiosum... obtimum...
bonum et pulcherrimum... legalem et carrisimum et per
omnia laudabilem.
-
(40). Voir Bullarum, Privilegiorum ac Diplomatum Romanorum
Pontificum amplissima collectio, opera et studio Caroli
Cocquelines, II, Romae, 1739, p. 162-261.
-
(41). Voir BIGGS (A. G.), op. cit. (n. 36), à la table
des noms. L'auteur résume ainsi ces rapports : « The
Historia daims that many of those who made up the Roman
Curia were devoted to him », p. 342-343.
-
(42). Aubri est créé cardinal-évêque d'Ostie en 1136
et peu après envoyé comme légat en Angleterre. Voir
Dict. d' Hist. et de Géo. eccl., I, 1408.
-
(43). Vie de Louis le Gros par Suger... publiée d'après
les mss. par MOLINIER (A.), Paris, 1887 (« Coll. de
textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de
l'histoire », n° 4), p. 117-122 ; Historia ecclesiastica
d'Orderic VITAL, Patr. Lat, CLXXXVIII, 933-934. Autisiodoro
elegit demorari, dit Suger, p. 122.
-
(44). Hunc codicern prius Ecclesia romana diligenter
suscepit ; scribitur enim in compluribus lacis, in Roma
scilicet, in hierosolimitanis horis, in Gallia, in Ytalia,
in Theutonica et in Frisia et precipue ad Cluniacum.
Scribitur est traduit par R. Louis, art. cité (n. 14),
p. 80, n° 1 : « on l'a transcrit » ; par J. Vielliard,
éd. du Guide, p. 125: « on le trouve écrit ». La traduction
d'A. LAMBERT, Dict. d'Hist. et de Géo. eccl., V, 1931,
col. 1296-1298 : « il fut écrit », n'est guère plausible.
-
(45). ... reperi volumen V libros continens, éd. du
Guide, p. 127. [Calixtus] predictum volumen inter autenticos
codices in ecclesia legendum apostolici culminis sententia
sanccire curavit, venerando Innocentio... sepedictam
(pour supradictam) scripturam postea roborante, ibid.,
p. 130. A. du Mont indique les phases de son travail.
-
(46). HÄMEL (A.), « Aus der Geschichte der Pseudo-Turpin
- Forschung », dans Romanische Forschungen, LVI, 1942,
p. 229-245. L'Abbé P. David, professeur à l'Université
de Coïmbra et l'un des meilleurs connaisseurs du Codex,
ne dit rien de cette histoire postérieure.
-
(47). Dict. d'Hist. et de Géo. eccL, XIV, 1960, col.
441-444.Liste des 139 mss. latins conservés du Turpin
par HÂMEL (A.), « Los manuscritos latinos del Falso
Turpin », dans Estudios dedicados a D. Ramon Menéndez
Pidal, t. 1V, Madrid, 1954, p. 68-85, et de toute la
tradition manuscrite et imprimée (plus de 300 textes)
par MANDACH (A. de), dans Naissance et développement
de la chanson de geste en Europe. I. — La geste de Charlemagne
et de Roland Genève-Paris, 1961 (« Publications romanes
et françaises », 77), p. 364-398. Voir aussi mon étude
sur « L'exploitation de la Chronique du Pseudo-Turpin
», dans Marçhe Romane, t. 31, 1981, p. 11-41.
-
(48). BEDIER (J.), Les Légendes épiques, III, Paris,
1912, p. 367, 448. E. Mâle a une formule aussi lapidaire
dans L'art religieux au XIIe siècle en France, 6e éd.
Paris, 1953, p. 292: « Du pèlerinage de Saint-Jacques
et de la guerre d'Espagne est née la Chanson de Roland
».
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