DU
"LIBER SANCTI JACOBI" AU "CODEX CALIXTINUS":
RÉÉCRITURE
D'UN TEXTE ET SES RAISONS POLITIQUES ET RELIGIEUSES
Marie
DE MENACA,
Université
de Nantes.
de
Menaca Marie. Du « Liber Sancti Jacobi » au « Codex
Calixtinus » : réécriture d'un texte et ses raisons
politiques et religieuses.
In:
Cahiers de linguistique hispanique médiévale. N°14-15,
1989. pp. 121-146.
doi
: 10.3406/cehm.1989.1066
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cehm_0396-9045_1989_num_14_1_1066
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Prenant
le terme paraphrastique dans l'acception très large
de remaniement, sans négliger pour autant le phénomène
de réécriture, notre réflexion portera sur le corpus
désigné sous le nom de Livre de saint Jacques, afin
de dégager, dans un parcours diachronique, certains
des paramètres qui ont pu intervenir dans ce processus
de réélaboration.
I
- 1 : LE LIVRE DE SAINT JACQUES AU TEMPS D'ALPHONSE
III
Tous
ceux qui ont étudié ce livre l'on fait sur la dernière
version connue, celle du Codex Calixtinus, achevé
peu après le milieu du XIIème siècle.
L'étude
de ce livre a été menée fondamentalement en fonction
d'une de ses composantes: l'Historia Karoli Magni
(l'Histoire de Charlemagne), négligeant par là même,
le plus souvent, les liens entre ce livre et l'Histoire
de l'Espagne.
Il
s'en est suivi des discussions, parfois byzantines,
sur Roland, Turpin, Charlemagne ou Calixte II. Des
discussions qui tournaient toutes autour de la France
et des moines français qui auraient pu écrire ce
livre. Cependant,
le livre de saint Jacques ne peut, à notre avis,
être pleinement compris si on le dissocie de l'Histoire
de l'Espagne.
C'est
elle, - au gré de sa situation militaire et politique
changeante, vécue entre le Xème et le XIIème siècles
- , qui nous fournira la justification ultime du
livre.
Il
faudra, bien sûr, rejeter la version du faux Calixte
II dans sa prétendue lettre préliminaire au Livre
de saint Jacques, où il nous affirme que c'est lui
l'auteur du livre, écrit pendant 14 années, passées
à parcourir "des terres et des provinces barbares,
où - ajoute-t-il - tout ce que je trouvais écrit
sur saint Jacques, dans de rares et humbles manuscrits,
le recopiais diligemment pour pouvoir faire de tout
cela un livre".
Mais
il faudra rejeter cette version parce que, bien
avant Calixte II, une bonne partie du volume, à
savoir, les composantes des trois premiers livres,
sur les cinq qui forment le Codex Calixtinus, existait
déjà, ayant été composée dans un but précis, comme
nous allons essayer de le voir.
L'histoire
officielle du Livre de saint Jacques commence tout
au début du Xème siècle. Et par officielle, on doit
comprendre l'ensemble des documents émanant de la
Cour, et servant à authentifier, devant toute la
chrétienté, un fait inouï, au sens propre, c'est-à-dire,
jamais entendu auparavant: celui de la sépulture
en Galice du corps de saint Jacques et de sa découverte.
Nous
avons signalé déjà dans d'autres travaux que certains
textes anglais de la fin du VIIème - début du VIIIème
siècles parlaient de la prédication de saint Jacques
en Galice et de sa sépulture. Mais ces faits n'étaient
connus que d'une minorité d'ecclésiastiques, et
restaient sans effet, dans la mesure où le corps
de l'Apôtre, selon Bède, y reposait mais restait
caché (condita).
Cet
état de faits change dès le début du IXème siècle,
ainsi que le martyrologe d'Adon le prouve, en raison
d'un événement nouveau qui intervient alors: le
corps de saint Jacques, enterré en Galice, avait
été retrouvé, et il était l'objet d'une vénération
populaire grandissante.
Il
fallait donc, au moyen d'un corpus patristique et
scripturaire, authentifier cette nouvelle réalité
jacobite.
De
sorte que les premiers documents officiels, destinés
à faire foi, ont été déjà réunis au moins dès la
fin du IXème siècle - début du Xème.
Nous
le savons, grâce à la lettre d'Alphonse III écrite
en 906 et envoyée aux religieux de Saint-Martin-de-Tours,
cette lettre était destinée à certifier l'authenticité
des reliques trouvées en Galice et à en vanter leurs
effets miraculeux:
"Sachez
en toute certitude qu'il s'agit de l'Apôtre Jacques
fils de Zébédée, qui fut décapité par Hérode, et
dont nous possédons le sépulcre en un sarcophage
de marbre dans la province de Galice. Guidé par
la main du Tout-Puissant, comme l'indiquent beaucoup
d'Histoires véridiques, son corps fut transporté
jusqu'ici et y fut enterré. Son tombeau n'a cessé
de briller par toutes sortes de miracles ... que
nous avons appris et constatés, et que les prêtres
et le clergé nous ont racontés. Car la façon dont
il fut décapité par Hérode, porté jusqu'ici et enterré,
l'époque et la manière dont cela se fit, nous en
trouvons témoignage évident dans les lettres véridiques
de nos prélats, l'Histoire de nos Pères et la parole
de beaucoup de gens... Mais, avec l'aide de Dieu,
lorsque vos clercs arriveront chez nous, nous ne
refuserons pas de vous faire savoir tout ce que
nous avons appris de nos Pères et tout ce que nous
conservons dans nos écrits et, avec l'aide de Dieu,
vous croirez sans hésiter ce que nous considérons
comme vrai et juste".
Nous
voyons, sous la plume d'Alphonse III, l'affirmation
selon laquelle on conservait déjà, tout au début
du Xème siècle, des écrits à la Cour ou à Compostelle
composés de "lettres véridiques des prélats"
et "des histoires véridiques de nos pères".
Ce
qui fera dire à Fray Justo Pérez de Urbel que par
"ces lettres et ces récits historiques, on
fait allusion à deux documents fameux contenus dans
le Codex Calixtinus ou Liber sancti Jacobi du XIIème
siècle, mais rédigés déjà en l'an 900, à savoir:
l'Epistola Leonis Papae et l'Historia Translationis".
Il
faudrait ajouter, à ce que Pérez de Urbel dit, le
Recueil de Miracles dont Alphonse III parle: "Toutes
sortes de miracles que nous avons appris et que
les prêtres nous ont racontés", et qui deviendra
par la suite le deuxième livre dans le Codex Calixtinus.
Il
est évident que les miracles du Xème siècle n'ont
pas tous été retranscrits dans le Codex Calixtinus
du XIIème siècle. De nouveaux, mis au goût du jour
et adaptés à la vie du pèlerin sur le Chemin de
Saint- Jacques, y ont pris place.
Cependant
la trace de ces miracles anciens reste encore visible
dans le deuxième miracle qui, selon les manuscrits,
est attribué, tantôt à Bède, tantôt à Calixte IL
Mais il est évident que l'attribution à Bède convient
mieux, de par l'ancienneté du miracle, qui était
connu dès le Haut Moyen-Âge, et dont une variante
concernait Charlemagne
lui-même et saint Gilles à la place de saint Jacques.
Le
récit le plus connu réfère comment Charlemagne,
n'osant pas avouer oralement une faute, prépara
une confession écrite qu'il déposa sur l'autel où
saint Gilles célébrait la messe, - dans la version
du Codex Calixtinus la confession est déposée par
un italien sur l'autel de saint Jacques à Compostelle
- L'office fini, on découvrit que la confession
avait été effacée en signe du pardon accordé.
Une
deuxième trace de ce recueil de Miracles plus ancien,
mais mis à jour, se trouve dans le miracle XIX où
il est question de la prise de Coïmbre par Fernando
I en 1064.
Enfin,
la preuve de ce que nous avançons nous est donnée
dans le premier miracle qui ouvre le recueil et
qui commence ainsi:
"Quelque
part en Espagne, du temps du roi Alphonse, comme
la fureur des Sarrasins grandissait de plus en plus,
un certain comte Armengaud, voyant que la religion
des Chrétiens était abaissée par la poussée de Moabites
(Almorávides), entouré de l'élite de son armée,
se porta à l'attaque, avec l'argument invincible
du combat, pour mettre fin à leur fureur".
Ce
miracle est daté "du temps du roi Alphonse",
sans préciser lequel. Du fait que les arabes, dans
ce miracle, sont appelés "Moabites", soit
«Almorávides", ce roi Alphonse semble ne pouvoir
être qu'Alphonse VI, qui subit l'invasion des Almorávides
et qui fut défait par eux. Le miracle pourrait alors
être daté entre 1086, défaite d'Alphonse VI devant
les "Moabites", et 1109, date de la mort
de ce roi.
Mais
il est surprenant que celui qui compile les miracles
à Compostelle, à partir de 1132, ne se rappelle
plus exactement le nom d'un roi mort 30 ans plus
tôt, qui était, de surcroît, le grand-père d'Alphonse
VII, sur le trône au moment où fut transcrit le
Codex Calixtinus.
C'est
pourquoi il faut chercher ailleurs une explication
à cet oubli. Nous la trouvons dans le nom du protagoniste
du miracle, le comte "Ermengotus".
Cet
"ErmengotuS" n'est autre qu' "Armengol"
ou Ermengaud d'Urgel, le vaillant soldat, frère
du comte Ramon Borell
III de Catalogne, qui à la tête d'une armée de catalans
accomplit de merveilleux exploits en Andalousie,
et entra même à Cordoue que ses troupes pillèrent
en 1010.
Mais,
un an plus tard, en 1011, Ermengaud fut battu et
tué.
C'est
donc de lui que ce miracle parle, ainsi que de sa
défaite et de sa glorieuse mort au combat face aux
Sarrasins. Nous sommes en 1011, c'est-à-dire, pendant
le règne d'Alphonse V (999-1028), et le compilateur
du miracle, vers 1140, qui manquait de connaissances
historiques pour mettre un numéro d'ordre à ce roi
Alphonse, n'a fait au juste que mettre le miracle
au goût du jour interpolant le mot "Moabites".
La
preuve est ainsi faite de ce que nous avons avancé.
Le livre des Miracles, partie intégrante du Livre
de saint Jacques, existait depuis Alphonse III.
Sous le règne d'Alphonse V (999-1028), les miracles
continuaient à être recensés et transcrits, grâce
aux pèlerins qui arrivaient de partout à Saint-Jacques,
car la dévotion à l'Apôtre était générale et répandue
par toute la chrétienté, en ces année mille.
Quant
aux écrits patristiques, dont Alphonse III parlait
tout au début du Xème siècle, ce sont ceux-là mêmes
qui figurent dans la Compilation du XIIème siècle
du Livre de saint Jacques ou Codex Calixtinus, en
particulier les Homélies de Bède, - dont il a été
question - , ainsi que les écrits de saint Jérôme,
sur lesquels la tradition espagnole se base pour
défendre la présence de saint Jacques en Galice.
De
tout ce qui précède, il découle qu'en 906, la Cour
et l'Eglise d'Espagne avaient recueilli et réuni
un ensemble d'écrits prouvant l'authenticité de
la prédication et de la sépulture de saint Jacques
en Galice.
Ces
écrits recueillis étaient de trois sortes. Documents
des Pères et Prélats de l'Eglise, recueil de miracles
entendus et constatés, ainsi que la Translation
de saint Jacques. En d'autres termes, on avait réuni,
dès le tout début du Xème siècle, les composantes
des trois premiers livres du Codex Calixtinus ou
Livre de saint Jacques.
Nous
aurions par ailleurs une dernière preuve de l'existence
d'un Livre de saint Jacques antérieur au Codex Calixtinus,
dans ce même Codex, qui, au Livre I, chap. XVII,
nous renvoie précisément au "Codex dit de saint
Jacques", pour y trouver tout ce qui se rapporte
au saint et que l'Eglise tient pour authentique.
Face
aux fantaisies des fidèles sur la translation et
les miracles de saint Jacques, le faux Calixte II:
"interdit, jetant l'anathème, à quiconque d'écrire
quoi que ce soit sur saint Jacques si ce n'est des
choses vraies telles qu'elles sont contenues dans
le Codex dit de saint Jacques. Car celui-ci contient
ce qui est nécessaire pour être lu et chanté aux
fêtes de saint Jacques. Des choses qui sont toutes
prises dans des livres authentiques ainsi que le
Livre de saint Jacques nous le dit".
De
cette version purement religieuse, et aux seules
fins de convaincre la chrétienté du bien-fondé de
la croyance en saint Jacques, on va passer à des
remaniements successifs dont la motivation évolue
au gré de l'Histoire d'Espagne.
I
- 2:
CLUNY ET LA DEUXIÈME COMPILATION DU LIVRE
Un
premier remaniement, et donc une deuxième compilation
officielle, a dû s'opérer à la fin du XIème siècle,
sous l'impulsion d'un ensemble de faits que nous
allons essayer de mettre en lumière.
Ce
remaniement se fera grâce aux moines de Cluny qui,
tout au long du XIème siècle vont pénétrer en Espagne,
d'abord avec Sanche le Grand de Navarre, puis en
Castille avec son fils Fernando I, et surtout avec
son petit-fils Alphonse VI (1072-1109).
Sous
le règne de ce roi, les moines de Cluny vont être
de plus en plus nombreux à pénétrer dans les monastères
espagnols, à occuper des sièges épiscopaux importants,
et à exercer une influence politique prépondérante
dans la Cour.
Pourquoi
ont-ils procédé à ce remaniement ? Quelles sont
leurs motivations ?
Tout
d'abord les moines de Cluny ont gardé au Livre de
saint Jacques sa finalité première, celle qu'Alphonse
III lui avait donnée: réunir en un seul volume tout
ce qui se rapportait à l'Apôtre, à sa prédication,
à son culte et à son tombeau, et susceptible de
faire foi devant ceux qui en douteraient, et d'autant
plus que, depuis 906, jusqu'à cette fin du XIème
siècle, l'authenticité de certains de ces textes
avait été, apparemment, mise en doute par certains
esprits, puisque le faux Calixte II se croit obligé
de dire à propos de ces textes que: "il y en
a certains qui disent qu'ils sont apocryphes".
Cette
finalité, qui est toujours la même, apparaît en
comparant la lettre d'introduction du faux Calixte
II, dans le livre remanié par les moines de Cluny,
avec celle d'Alphonse III adressée aux moines de
Tours: Nous constatons que le prétendu Calixte II
se contente de reprendre à sa façon les propos d'Alphonse
III, quand il affirme qu'il n'a rien écrit de son
propre chef, et que la première partie du Livre
était déjà écrite et composée à l'aide de textes
des Pères de l'Eglise et de récits historiques.
Sur
le Livre des Miracles, il dit l'avoir écrit après
avoir été témoin de quelques-uns d'entre eux, ou
les avoir entendu raconter par des gens dignes de
foi, ou encore les avoir déjà trouvés écrits.
Alphonse
III, rappelons-le, avait dit, pour sa part, parlant
du Livre des Miracles, que cet opuscule contenait
"toutes sortes de miracles que nous avons appris
et constatés et que les prêtres et le clergé nous
ont racontés".
Cependant,
à cette motivation première, - ou souci d'authenticité
- , vient s'en ajouter une deuxième à présent: faire
du Livre de saint Jacques une sorte de manuel officiel
du pèlerinage.
Les
moines de Cluny, organisateurs attitrés de ce pèlerinage,
voulaient par ce livre atteindre des publics vastes
et divers, et leur apprendre toute l'histoire de
saint Jacques dans sa dimension espagnole, en particulier
sa prédication, sa translation et la découverte
de son tombeau en Galice.
Il
devient alors un moyen de propagande qui doit servir
à relancer le pèlerinage, et cela d'autant plus
aisément que les Eglises et Hospices du Chemin,
souvent tenus par les moines de Cluny, étaient des
centres idoines pour mener à bien cette campagne
de propagande: Là, à l'Eglise ou à l'Hospice, aux
Offices ou au réfectoire, ils donnaient lecture
aux pèlerins des miracles et des textes ecclésiastiques
relatifs à saint Jacques.
Cette
nouvelle motivation apparaît clairement un peu partout
dans le livre, que ce soit au début du volume, dans
l'épître d'introduction du faux Calixte II: - "ce
qui est écrit dans les deux premiers livres, qu'on
le prône et le lise dans les messes du matin...
que cela soit lu dans les réfectoires pendant les
repas Ce volume contient ce qui est nécessaire pour
être lu ou chanté aux fêtes de saint Jacques"
- , que ce soit dans le préambule au Livre des Miracles:
"les
miracles qui sont contenus dans ce livre seront
lus au réfectoire les jours des fêtes de saint Jacques".
La
relance du pèlerinage, dès que Cluny se charge des
affaires de saint Jacques en 1094, avec la nomination
de Dalmace, moine de Cluny, comme évêque de Compostelle,
est due en particulier à la nécessité de trouver
l'argent qu'il fallait pour faire sortir Compostelle
de l'état misérable où elle se trouvait, et qui
s'était prolongé tout au long du XIème siècle, après
la destruction massive d'Almanzor en 997. Au lendemain
de son départ, - après être resté huit jours dans
la ville brûlant et détruisant les églises, les
couvents et les maisons - , il n'était pas possible
de reconnaître l'endroit où la cathédrale avait
été bâtie.
Cette
situation misérable se prolongeait encore au milieu
du XIème siècle à Compostelle, où il n'y avait en
tout et pour tout que 7 chanoines.
La
relance du pèlerinage, disions-nous, avait une finalité
économique: il ne faut pas oublier, par exemple,
que cette cathédrale, ruinée par Almanzor, va être
rebâtie par Alphonse VI, et achevée en partie par
Gelmirez, le successeur de Dalmace. C'est pourquoi
Alphonse VI permettra même, - pour hâter la construction
- de frapper monnaie à Compostelle.
Pour
cela même, en manière d'incitation et d'exemple,
d'après le miracle IX, "de milite Thabarie",
certains pèlerins, en danger de mort, invoquaient
saint Jacques, et lui promettaient "de l'argent
pour la construction de son Église". Argent
qui est remis, dans le miracle en question, à saint
Jacques dès que le chevalier se présente devant
son tombeau à Compostelle.
Ce
sera par cet argent du pèlerin que vont arriver
à Compostelle la grandeur et la splendeur qu'elle
va connaître 25 ans plus tard à peine, sous l'épiscopat
de Gelmirez.
Mais
ne pensons pas toutefois que le but économique que
l'on poursuit en relançant le pèlerinage soit à
relier seulement avec la reconstruction et la grandeur
de l'Église de saint Jacques. Il faudra tenir compte
aussi des liens existant entre Cluny et la Maison
de Bourgogne. Par cette relance, les moines noirs
oeuvrent en même temps pour la Maison de Bourgogne,
qui s'installe en Espagne avec Constance de Bourgogne,
fille du duc de Bourgogne et femme d'Alphonse VI.
Constance
réussit à faire de la Galice un fief pour sa fille
Urraca et son mari Raymond de Bourgogne, fils du
comte de Bourgogne:
Ce
sont eux les premiers qui vont tirer profit de cette
richesse que l'essor du pèlerinage laisse en Galice.
Ce
sera aussi par cette imbrication entre Cluny, Compostelle
et Raymond de Bourgogne, que le Livre de saint Jacques
sera remanié avec un ajout de taille: V Historia
Karoli Magni ou Historia de Charlemagne.
I
- 3 :
L'HISTORIA KAROLI MAGNI (L'HISTOIRE DE CHARLEMAGNE)
Ce
remaniement du Livre de saint Jacques, opéré par
Cluny, ne se limite pas aux nouvelles motivations
assignées au livre: lecture dans les Églises et
les Hospices pour la relance du pèlerinage. Ce remaniement
s'accompagne de l'introduction d'un nouveau texte:
l'Historia Karoli Magni.
L'étude
de cette question a derrière elle un long passé
critique, mais elle a été menée encore dans l'oubli
de l'Histoire de l'Espagne. C'est pourquoi il faut
revoir ce qui a été dit, pour ajouter ce qui a été
oublié.
Gaston
Paris le premier, en 1865, avait remarqué qu'en
réalité, la chronique du Pseudo-Turpin, c'est-à-dire,
la Vita Karoli Magni, pouvait se décomposer en deux
parties qui révélaient chacune un esprit très différent.
La première partie, comprenant les cinq premiers
chapitres, qui ne traitent que de saint Jacques,
et la deuxième partie, avec le reste des chapitres
qui ne sont qu'une chanson de geste en prose. La
chronique avait donc eu deux auteurs qui avaient
écrit à deux époques différentes.
Dozy,
par la suite, tout en rejetant la datation de Gaston
Paris, - dont nous verrons ensuite ce qu'il en est
- , admit à son tour l'existence de deux parties
très différentes dans la chronique, et par là même
l'existence de deux auteurs différents:
"II
y a entre les deux Pseudo-Turpins des différences
fondamentales. Plus on étudie le livre, plus cette
vérité saute aux yeux. Le premier (auteur) est un
homme pieux qui écrivait pour glorifier saint Jacques
et exhorter les fidèles à visiter son tombeau, au
lieu que le deuxième auteur oublie l'Apôtre et cherche
à amuser ses lecteurs par le récit de batailles
et de combats singuliers".
Plus
tard Bédier, qui reprit l'étude de la question,
pensait, quant à lui, que l'Histoire de Charlemagne,
n'étant qu'un simple fragment du Livre de saint
Jacques, il ne fallait pas y voir deux parties différentes,
et donc deux auteurs différents, mais un seul écrit
d'un seul auteur.
Cependant,
le dernier à avoir abordé la question, Meredith-Jones,
a montré d'une part, - confirmant l'opinion de Gaston
Paris - , que les cinq premiers chapitres de la
Chronique ont été composés par un auteur qui n'a
rien à voir avec le reste de la Chronique, où saint
Jacques y est tout à fait négligé.
De
sorte que cette Histoire de Charlemagne, - exception
faite des cinq premiers chapitres - , et par son
esprit et par son texte, ne saurait concourir au
dessein de propagande du Livre de saint Jacques,
où l'on a rassemblé tout ce qui était de nature
à abonder dans le sens des compilateurs clunisiens:
relancer le pèlerinage en rendant éclatante et populaire
la figure et la vertu miraculeuse de saint Jacques.
D'autre
part, Meredith-Jones, par l'étude comparative des
manuscrits, arrive à la conclusion suivante: la
version de la Chronique que le Codex Calixtinus
renferme, loin d'être la plus ancienne, n'est qu'une
transcription locale particulière, faite en vue
de besoins spéciaux, - que nous étudierons par la
suite - .
La
preuve en est que Frédéric Barberousse, lorsqu'il
fit préparer en 1166 un ouvrage pour la canonisation
de Charlemagne, - La Vita Karoli - , se servit d'une
version dont les premiers chapitres n'étaient pas
les mêmes que ceux qui figurent dans le Codex Calixtinus,
mais provenaient d'un texte plus ancien.
De
sorte que la Chronique du Pseudo-Turpin avait été
déjà compilée à une date antérieure à celle du Codex
Calixtinus. Elle était passée par plusieurs phases,
dont l'une était celle que Gaston Paris signalait:
la rédaction des cinq premiers chapitres seulement.
Si
bien que Meredith-Jones nous propose le cheminement
suivant pour la Chronique. Le texte de la Vita Karoli
Magni contenu dans le Codex Calixtinus est le remaniement
d'un texte antérieur, plus court, qui, à son tour,
provient d'une version originelle. Soit :
V.
O. > Texte B, court, qui a servi pour établir
le texte > B1, celui du Codex Calixtinus.
C'est
donc, en conclusion, la version B, longue de cinq
chapitres seulement, qui a dû être rajoutée au Livre
de saint Jacques quand il a été remanié par Cluny
à la fin du XIème siècle, ainsi que nous allons
essayer de le voir.
I
- 4:
LE SILENSE ET L'HISTOIRE DE CHARLEMAGNE
Bédier
et d'autres critiques encore, ont affirmé que la
légende sur Charlemagne était connue sur la route
d'Espagne avant que n'existât la Chronique du Pseudo-Turpin,
telle que nous la connaissons par le Codex Calixtinus.
Nous
avons effectivement une preuve de l'existence et
de la connaissance en Espagne de la geste de Charlemagne,
grâce à l'oeuvre du Silense, écrite en 1110, tout
au début du XIIème siècle, bien avant qu'elle n'apparaisse,
longuement remaniée, dans le Codex Calixtinus, entre
1132 et 1158.
Le
Silense, quand il écrivait sa Chronique des Rois
d'Espagne, connaissait déjà la légende de Charlemagne,
mais il n'en connaissait que ce qui est exposé dans
les cinq premiers chapitres de la Chronique du Pseudo-Turpin.
Le
contenu de ces cinq premiers chapitres réapparaît
ainsi, de-ci, de-là, dans l'Historia Silense pour,
naturellement, apporter un démenti indigné à cette
légende.
Tout
d'abord, il connaît la légende concernant l'or que
Charlemagne aurait rapporté d'Espagne après son
expédition, telle que le Pseudo-Turpin la réfère
au chapitre V: "De l'or qu'il reçut des Rois
et des Princes d'Espagne, pendant les trois années
qu'il demeura dans ce Pays, Charlemagne... revenu
d'Espagne, fonda nombre
d'Eglises de l'immense quantité d'or et d'argent
qu'il avait encore rapportée".
Cet
or, pour le Silense, est bien une réalité dans l'expédition
de Charlemagne, non pas comme résultat, mais comme
motif même de cette expédition, enlevant ainsi toute
portée épique à la marche de l'Empereur, lequel
d'après le Silense, n'était venu en Espagne que
"corrompu par l'or, selon l'habitude des Francs".
Le
Silense connaît aussi le chapitre III qui chante
la gloire des Français: "La race sarrasine
était émerveillée de voir la race française si vaillante,
si bien vêtue et si élégante".
Pour
lui, au contraire, il ne sera question que de "la
férocité des Francs" ou de "la perversité
des Francs".
Il
connaît aussi l'Histoire des villes que Charlemagne
aurait conquises en Espagne. Conquêtes que, à leur
habitude, "racontent mensongèrement les Français".
Le Silense, lui, accorde en tout et pour tout la
ville de Pampelune; et, pour Saragosse il dit que
l'Empereur ne prit même pas la peine de l'enlever
aux Arabes. Nous verrons
par la suite l'importance politique que cette conquête
de villes espagnoles a pu avoir à un moment donné
de l'Histoire de l'Espagne.
Le
Silense connaît aussi le contenu du IIème chapitre
qui nous dépeint Charlemagne comme un infatigable
guerrier qui, cependant, après avoir combattu sans
cesse, eut, tout de même, besoin de repos : "Cependant
Charles, après avoir accompli tant de travaux dans
tant de Pays de l'Univers, après avoir conquis...
tant de royaumes, lassé de ce rude labeur et de
cette grande fatigue, résolut de ne plus faire la
guerre et de se donner du repos".
Pour
le Silense, le portrait que l'on peut faire de Charlemagne
est, tout au contraire, celui d'un soldat en toge,
et non d'un soldat endurci, dont la seule envie
était précisément celle de se donner du repos dans
les thermes raffinés qu'il s'était fait construire
à Aix.
On
peut ainsi voir, à travers ce que le Silense expose,
qu'avant 1110, l'Histoire de Charlemagne, telle
qu'elle apparaît dans les cinq premiers chapitres
de la Chronique du Pseudo-Turpin, était connue en
Espagne et des Espagnols.
Elle
a pu être véhiculée, entre autres, par le Livre
de saint Jacques, dans son premier remaniement,
dès la fin du XIème siècle, moment où l'Histoire
de Charlemagne, avec seulement les cinq premiers
chapitres, a dû y être incorporée.
Nous
savons par ailleurs qu'au siècle précédent, quand
Alphonse III énumère aux moines de Tours les différents
écrits qui forment le Livre de saint Jacques, il
ne mentionne pas la légende de Charlemagne. D'autre
part, la Chronique de ce même roi Alphonse III,
qui raconte l'Histoire de l'Espagne entre 672 et
866, garde un silence absolu sur l'expédition de
Charlemagne en Espagne.
Sa
place alors, - dans le remaniement opéré par Cluny
à la fin du XIème siècle du Livre de saint Jacques
- , ne devait pas être celle que nous lui connaissons
dans le Codex Calixtinus, soit le quatrième livre
du volume, mais le deuxième livre, situé entre le
livre liturgique et le livre des Miracles, ainsi
que pourrait nous le faire penser la lettre d'introduction
du faux Calixte II, transcrite par Ulysse Robert,
et qui précise: "Histoire de Charlemagne contenue
dans ce Codex avant le Livre de Miracles, écrite
par le bienheureux évêque de Reims". Place
privilégiée qui aurait toute sa signification, comme
nous le verrons en étudiant les raisons de ce remaniement.
I
- 5:
LE PROBLÈME DES DATATIONS
Dozy,
cependant, dans sa réponse à Gaston Paris, avait
fait remarquer que certains faits contenus dans
les cinq premiers chapitres ne permettaient pas
de dater l'Histoire de Charlemagne de la fin du
XIème siècle. Mais à notre tour, nous
pouvons objecter à Dozy d'avoir daté certains événements
de façon assez floue, et parfois même d'avoir conduit
un raisonnement historique inexact.
Pour
les Almorávides, il fixe comme terminus a quo 1090,
lorsqu'ils s'emparent de Grenade, et comme terminus
ante quem 1111, parce que "parmi les villes
de la Galice, il (l'auteur de l'Histoire de Charlemagne)
n'en nomme aucune au midi de Coïmbre, ce dont on
peut conclure que celle-ci était de son temps une
place frontière. Il en était ainsi après l'année
1111. Des villes très importantes qui se trouvent
au sud de Coïmbre, telle que Lisbonne, avaient été
conquises par Alphonse VI, mais en 1111 les Almorávides
les recouvrèrent".
Certains
de ces faits cependant peuvent ère datés autrement.
Pour
les Almorávides, tout d'abord, la première date
proposée, celle de 1090, ne représente rien ou presque
pour la chrétienté. Celle qui compte est celle du
23 octobre 1086, quand les armées Almorávides, après
avoir débarqué à Algeciras le 30 juin 1086, infligèrent
aux armées d'Alphonse VI la retentissante défaite
de Zalaca ou Sacralias. Alphonse VI, blessé, put
à peine avoir la vie sauve avec une poignée de chevaliers
de son armée. La peur et l'émotion furent aussi
vives en Espagne qu'en France. D'autant plus qu'Alphonse
VI se chargea de les accroître en menaçant de laisser
la voie libre aux Almorávides pour aller attaquer
la France s'il ne recevait pas des secours inmédiats.
Ceux-ci arrivèrent en Espagne en 1087 avec une armée,
- dont les Bourguignons étaient le fer de lance
- , commandée par Eudes, duc de Bourgogne et neveu
de Constance, la femme d'Alphonse VI. C'est à cette
date que Raymond de Bourgogne vint en Espagne, et
que les pourparlers de son mariage avec Urraca,
la fille de Constance et d'Alphonse VI durent commencer.
Pour
les villes du Portugal et pour Lisbonne, il faudrait
aussi reculer les dates proposées par Dozy de 17
ans, car en réalité la perte du territoire portugais
s'opère entre 1086 et novembre 1094:
Lisbonne
et d'autres villes portugaises, telles que Santarém
et Cintra, avaient été données en 1093 à Alphonse
VI par le roi de Badajoz, en échange de son aide
contre les puissants Almorávides. Cependant, un
an plus tard, en 1094, Raymond de Bourgogne fut
défait à son tour par les Almorávides devant Lisbonne,
et cette ville, ainsi que les territoires au sud
de Coimbra, furent perdus par les Chrétiens.
Quant
au dernier argument historique avancé par Dozy,
pour fixer après 1131 la date des cinq premiers
chapitres de la Chronique de Charlemagne, il n'est
pas, non plus, très convaincant. Cet argument s'appuie
sur le fait que la ville de Bayonne figure dans
le troisième chapitre de l'Histoire de Charlemagne,
parmi les villes espagnoles qui furent prises par
l'Empereur lors de son expédition en Espagne.
Or,
selon l'argumentation de Dozy, sachant que la ville
de Bayonne ne devint espagnole que lors de sa prise
par Alphonse le Batailleur en 1131, il faut en conclure
que le troisième chapitre n'a pu être écrit qu'au
moment où la ville devint espagnole en 1131.
Mais
Dozy oublie tout d'abord de signaler qu'au Chapitre
VII, la même chronique parle en ces termes de la
ville de Bayonne: "Apüd urbem Baionam, urbem
Basclorum" (près de la ville de Bayonne, ville
des Basques).
Le
problème est donc de savoir si Charlemagne, dans
la Chronique, prend une ville espagnole appartenant
aux Espagnols, ou une ville basque appartenant aux
Basques, qui étaient, selon la légende que devait
connaître le Pseudo-Turpin, un peuple de païens
et d'ennemis des chrétiens et des Français, ainsi
que le précisent, avec le Guide du Pèlerin, le Livre
des Miracles, et d'autres écrits.
De
plus, la date donnée par Dozy, celle de 1131, -
année où Alphonse le Batailleur prit Bayonne - ,
pour prouver que c'est seulement à ce moment-là
que la ville devint espagnole, n'a pas de valeur
historique bien décisive. La question doit se poser
en d'autres termes. Bayonne, - quand le Pseudo-Turpin
écrivait - , était-elle une ville française ou une
ville basque, ou, à la rigueur, une ville basque-espagnole
?
Les
deux dernières hypothèses, - pour l'époque que nous
étudions, naturellement - , semblent préférables
à la première.
Nous
savons que les terres de l'évêché de Bayonne, en
1106, étaient en partie des terres basque-espagnoles
qui allaient jusqu'à Saint-Sébastien, ainsi délimitées
dans les documents officiels:
"Vallem
quae dicitur Bastan, vallem quae dicitur Lerin,
vallem quae dicitur Leseca, vallem quae dicitur
Otarzu ad Sanctum Sebastianum".
Et
ceux qui commandaient sur ces terres de l'évêché
de Bayonne étaient parfois des Basques espagnols,
tel Iñigo Vella, de la famille des Comtes d'Alava,
seigneur en 1105 de Baztan.
D'autre
part, nous savons, par exemple, que lors du mariage
en 1170 d'Alphonse VIII avec Eleonor d'Aquitaine,
celle-ci reçut en dot la Gascogne. Il est donc probable
que lors du mariage d'Alphonse VI avec Agnès d'Aquitaine,
entre 1074 et 1078, celle-ci ait reçu en dot des
villes telles que Bayonne. Et c'est sans doute pourquoi
Alphonse VI pouvait en 1077, selon les chartes de
l'abbaye de Cluny, s'appeler "roi de Léon et
jusqu'aux Pyrénées".
Ainsi
Bayonne, à la fin du XIème siècle, était avant tout
une ville purement basque, et probablement sous
juridiction basque-espagnole, à la suite du mariage
d'Alphonse VI avec Agnès d'Aquitaine.
De
ce fait le Chroniqueur des cinq premiers chapitres
pouvait très bien dire, à la fin du XIème siècle,
- sans attendre 1131 et Alphonse le Batailleur -
, que Charlemagne avait pris Bayonne, en sous-entendant:
ville des Basques qui étaient les ennemis jurés
des Français, ainsi qu'ils l'avaient prouvé à Roncevaux,
et un siècle et demi plus tôt à la vallée de la
Soûle, et même bien auparavant ainsi que nous l'avons
déjà vu.
Il
n'est pas possible donc, d'appliquer des conceptions
territoriales françaises du XIXème siècle à une
ville, telle que Bayonne, qui était aux XIème et
XIIème siècles purement basque.
De
tout ceci, il s'ensuit que les dates proposées par
Dozy pour les cinq premiers chapitres ne sont pas
à retenir, et qu'elles peuvent être reculées de
40 ans, pour les situer à la fin du XIème siècle,
et dater ainsi l'introduction de l'Histoire de Charlemagne
dans le Livre de saint Jacques, - tout au moins
dans ses cinq premiers chapitres - , de la fin du
XIème siècle.
On
pourrait alors en fixer la date, non seulement après
la perte de Lisbonne et des territoires au Sud de
Coimbra par la défaite de Raymond de Bourgogne en
1094, mais surtout entre 1098, année de la naissance
de Sancho, fils d'Alphonse VI et de Zaïda, la concubine
arabe du roi, et 1105, date de la naissance d'Alphonse
Raimundez, fils d'Urraca et de Raymond de Bourgogne:
l'Histoire de Charlemagne venant alors s'insérer
dans le Livre de saint Jacques comme pièce importante
dans les plans de l'abbé Hugues de Cluny pour défendre
les droits de la Maison de Bourgogne au trône d'Espagne.
On
pourrait dès lors dire que la deuxième compilation
a dû être faite par Cluny sous l'impulsion de son
abbé Hugues, et qu'il en a peut-être conçu le projet
dès 1090, année où il voyagea en Espagne et célébra
Pâques avec Alphonse VI à Burgos, au moment, probablement,
du mariage d'Urraca avec Raymond de Bourgogne. Son
voyage, d'ailleurs, ne l'amena pas seulement à Burgos:
nous savons qu'il se rendit à Léon le 21 avril 1090
et à Compostelle.
C'est
là, et alors, que l'idée de voir le Livre de saint
Jacques devenir un moyen de propagande, a pu germer
et motiver l'intervention de Cluny et de son abbé
Hugues. Cette intervention directe de l'abbé Hugues
de Cluny sur le Livre de saint Jacques peut se retrouver
facilement, grâce au Livre des Miracles de saint
Jacques, dont la transcription du miracle 17 lui
est attribuée: il semble, d'après Hugues de Saint
Victor, que ce miracle fut rapporté par l'abbé de
Cluny lors de son voyage en Espagne.
C'est
pourquoi, en proposant ces deux dates, nous sommes
amenés à étudier les motifs qui ont pu pousser les
moines de Cluny, sous l'impulsion de l'abbé Hugues,
à inclure ces cinq chapitres dans le Livre de saint
Jacques dès la fin du XIème siècle.
I
- 6:
L'HISTOIRE DE CHARLEMAGNE OU LES AMBITIONS BOURGUIGNONNES
EN ESPAGNE
Bédier
s'était déjà demandé quelle fonction la Chronique
du Pseudo-Turpin pouvait remplir dans cette collection
d'ouvrages de piété qu'est le Livre de saint Jacques.
Sa réponse avait été que la légendaire invasion
de l'Espagne par Charlemagne était susceptible d'une
interprétation pieuse.
Mais
lorsque on parle de "légendaire" pour
l'invasion de Charlemagne, ou encore, quand on parle
de Bayonne "ville française", on raisonne
en homme du XIXème ou XXème siècle, non en homme
de l'époque.
Pour
le peuple qui faisait le pèlerinage à Saint-Jacques
à la fin du XIème siècle, les conquêtes de Charlemagne
en Espagne n'étaient certainement pas légendaires,
d'autant moins qu'il les apprenait de la bouche
de ses prêtres et moines.
Par
là, nous pouvons comprendre que ces conquêtes de
Charlemagne en Espagne pouvaient très bien avoir,
non pas une interprétation "pieuse" comme
le dit Bédier, mais surtout et avant tout "politique"
comme nous allons essayer de le montrer.
Cette
interprétation politique que l'on peut donner aux
conquêtes de Charlemagne en Espagne, racontées dans
les cinq premiers chapitres de la Chronique du Pseudo-Turpin,
on doit et on peut la fonder sur l'Histoire de l'Espagne
de ces années, de la fin du XIème et du début du
XIIème siècle.
Quand
les Bourguignons s'installent en force à la Cour
d'Alphonse VI: - Constance de Bourgogne épouse Alphonse
en 1079 ou 1080, Raymond de Bourgogne épouse Urraca,
fille de Constance et Alphonse, vers 1090, Henri
de Bourgogne épouse aussi vers la même époque une
autre fille d'Alphonse VI, Thérèse - , tout semble
au début aller au mieux pour les intérêts bourguignons,
et tout particulièrement pour Urraca, fille de Constance,
et pour son mari Raymond de Bourgogne, qui dès 1093
peut s'intituler: "Prince et Seigneur de toute
la Galice".
Un
fait cependant dut gâcher en partie cette prospérité
des Bourguignons dans les affaires politiques de
l'Espagne. Ce fut le concubinage de Zaïda et d'Alphonse
VI dès 1091, soit du vivant de Constance, puisqu'elle
ne meurt qu'en 1092.
Zaïda,
qui fut baptisée et reçut le nom d'Isabel, aura
parfois même, dans certains documents, le titre
de reine.
Or,
cette prospérité politique est encore plus menacée
le jour où en 1098, Zaïda mit au monde un enfant
mâle du nom de Sanche.
Jusqu'à
ce jour, Raymond de Bourgogne pouvait se considérer
comme une sorte de vice-roi d'Alphonse VI. Pareillement,
du fait que celui-ci n'avait pas d'enfant mâle,
Raymond et son cousin Henri, mariés tous deux à
deux filles du roi Alphonse VI, pouvaient escompter
hériter conjointement du royaume d'Alphonse.
N'affirmait-on
pas à l'époque, ainsi que le dit le Chronicon Compostellanum,
que Raymond de Bourgogne avait été appelé en Espagne
par Alphonse VI pour devenir à la fois le mari de
sa fille et l'héritier de sa couronne ? :
"Raymond
de Bourgogne que le roi Alphonse avait fait venir
de Bourgogne en Espagne et à qui il avait promis
sous serment tout son royaume".
Ces
espoirs furent donc anéantis en 1098 à la naissance
de Sanche, et ce fut alors, et à l'insu du roi Alphonse
VI, leur beau-père, que Raymond et Henri établirent
un pacte ou traité pour se partager les états d'Alphonse
VI; traité destiné à priver Sanche de son héritage.
Et
ce pacte fut établi à l'instigation de l'abbé de
Cluny, Hugues, qui leur avait envoyé un messager
porteur de ses conseils. Car il ne faut pas perdre
de vue qu'Hugues était l'oncle de Constance, donc
le grand-oncle d'Urraca.
D'après
les clauses de ce traité, Raymond, mari de la fille
légitime du roi, devait obtenir la Castille et le
Léon. Henri recevrait Tolède ou la Galice et son
comté de Portugal. Pour tous ces domaines, Henri
serait le vassal de son cousin Raymond. Ces projets
s'accompagnaient d'un partage du Trésor royal et
d'un pacte militaire contre l'opposition que pourrait
susciter la noblesse castillane.
C'est
dans ce contexte politique que l'Histoire de Charlemagne,
dans ces cinq premiers chapitres, vient s'insérer
dans le Livre de saint Jacques: naissance en 1098
de l'héritier mâle Sanche, qui ruine tous les espoirs
d'héritage de Raymond et d'Urraca.
L'Histoire
de Charlemagne, sous couvert de piété, devient alors
entre les mains de Cluny et de son abbé Hugues une
sorte de texte politique qui vient légitimer les
droits de la dynastie bourguignonne au trône d'Espagne:
face à Sanche, fils de la maure Zaïda,
Cluny
fait valoir les droits de Raymond et d'Urraca, fille
de Constance, qui était la nièce du capétien Robert
le Pieux, roi de France, et par là héritière des
doits acquis par les rois carolingiens en Espagne,
à la suite des conquêtes de Charlemagne en ce Pays.
Or,
que dit la Chronique, dans ses cinq premiers chapitres,
à propos des droits de Charlemagne sur l'Espagne?
Il est dit au chapitre III que:
"Toute
la terre d'Espagne devint sa tributaire",
et
un peu plus loin que:
"Charlemagne
alla jusqu'aux rochers du rivage (l'Océan en Galice)
où il planta son étendard", symbolisant ainsi
la prise de possession de la terre, selon la coutume
de l'époque, comme le fit aussi Alphonse VI à la
prise de Tarifa, où il entra à cheval dans la mer
pour signifier l'étendue quasi infinie de ses conquêtes.
C'est
ainsi le droit de conquête en faveur d'Urraca et
de Raymond que revendique la Chronique de Charlemagne
dans ces cinq premiers chapitres, face au nouvel
héritier Sanche, né en 1098, qui ruine d'un coup
tous les espoirs que Raymond et Henri avaient de
se partager un jour le royaume d'Alphonse VI.
Cluny,
qui, - en plus de ses liens avec la Maison de Bourgogne
- , avait pris en main Compostelle avec l'évêque
Dalmace, une première fois en 1094, et avec Gelmirez
tout de suite après, épouse et inspire la politique
espagnole de Raymond.
Le
Livre de saint Jacques, sous couvert de piété, doit
servir alors à propager l'idée que l'Espagne a été
tout d'abord le fief de Charlemagne par la conquête.
Et qu'elle revient, par voie de conséquence, à ses
héritiers, c'est-à-dire, à Urraca et Raymond, bien
avant Sanche, le fils de la concubine arabe.
Thèse
d'autant plus crédible qu'elle est affirmée dans
un livre revêtu de l'autorité de l'Église, et lue
dans les églises et les réfectoires par les moines
à la foule des pèlerins.
Et
ce ne fut pas là la seule tentative de Cluny pour
instaurer la dynastie bourguignonne sur le trône
d'Alphonse VI: dix ans après les événements référés,
on se trouve devant une situation à peu près semblable,
que les moines de Cluny vont essayer encore de modifier
à l'aide de textes historiques.
En
1105 la situation politique était devenue particulièrement
compliquée, du fait que la femme de Raymond, Urraca,
avait donné naissance à un héritier mâle: Alphonse
Raymundez, qui allait régner par la suite sous le
nom d'Alphonse VII.
Or,
Alphonse VI ne songea pas un instant, - même après
la mort de son fils Sanche en 1108 - , à faire de
son petit-fils, le jeune Alphonse Raymundez, son
successeur sur le trône de Castille, surtout en
raison de la rancune qu'il avait gardée contre Raymond
et son traité passé avec Henri pour se partager
le royaume.
De
ce mécontentement contre Raymond et son fils Alphonse
Raymundez, Rodrigue de Tolède nous parle en ces
termes:
"Alphonse
(Raymundez) était élevé en Galice et, parce que
le Comte Raymond (son père) ne trouvait pas grâce
aux yeux d'Alphonse VI, celui-ci, depuis longtemps,
ne se souciait pas de lui (de son petit-fils, Alphonse
Raymundez).
Après
la mort de Raymond en 1107, Alphonse VI choisit
en conséquence de remarier sa fille Urraca avec
Alphonse d'Aragon et de leur laisser le trône, en
dédommageant Alphonse Raymundez, le fils de Raymond
de Bourgogne, avec la Galice. Ce qui fut fait à
la mort d'Alphonse VI en 1109, non sans provoquer
aussitôt le départ en France d'Henri de Bourgogne
pour y recruter des troupes, afin d'appuyer par
les armes ses prétentions à une partie du royaume,
ainsi que nous l'apprennent des Chroniques Anonymes
de Sahagun:
"Henri,
qui descendait de la maison Royale de France ...
peu avant que le roi n'arrive à sa fin... s'en alla
de la Cour en colère, pour cette raison, quand le
roi, sur le point de mourir, disposait sa succession.
Henri passa les Pyrénées pour avoir l'aide des Français,
par lesquels, protégé et appuyé, il escomptait avoir
par la force le royaume d'Espagne".
La
réaction de Cluny, voyant écartée pour la deuxième
fois la dynastie bourguignonne du trône de Castille,
ne se fit pas attendre, et fut celle que nous voyons
dans l'Historia Compostelana ou dans le Chronicon
Compostellanum, c'est-à-dire, la même qu'ils avaient
eue dix ans auparavant à la naissance de Sanche.
Essayer d'infléchir le cours de l'Histoire en se
servant de textes historiques pour propager une
nouvelle version, qui dans le cas présent, est une
interprétation nouvelle des dernières volontés du
roi.
Alphonse
VI, selon ces deux livres, aurait laissé à son petit-fils
tantôt la Galice, tantôt tout le royaume de Castille,
après avoir promis sous serment quelques années
auparavant de laisser au père de l'enfant, le comte
Raymond, la totalité de son royaume.
I
- 7:
L'HISTORIOGRAPHIE ESPAGNOLE ET L'HISTOIRE DE CHARLEMAGNE
Meredith-
Jones s'étonnait du silence de l'Historia Compostelana
au sujet de l'Histoire de Charlemagne, pour en déduire
qu'à la date où La Compostelana était terminée,
vers 1130, la Chronique du Pseudo-Turpin ou Histoire
de Charlemagne n'apparaissait pas encore compilée
dans le Livre de saint Jacques.
Mais
la raison, d'après ce que nous venons de voir, en
est tout autre.
Si
la Compostelana n'en fait pas mention, c'est parce
que la version de l'Histoire de Charlemagne, dans
ses cinq premiers chapitres, est une version politique,
et non pas religieuse, de l'invention du tombeau
de saint Jacques.
A
la date de la Compostelana, vers 1130, la dynastie
bourguignonne, celle de Raymond de Bourgogne, -
qui avait fait la grandeur de Gelmirez, le prélat
de Compostelle - , est effectivement installée sur
le trône de Castille et du Portugal. On revient
alors dans la Compostelana à la source purement
religieuse de l'invention du tombeau de saint Jacques,
puisqu'il n'y avait déjà plus de raison politique
pour rappeler aux peuples espagnol et français les
droits sur l'Espagne, - par la conquête de Charlemagne
- , de la Maison de France, au détriment de la dynastie
bourguignonne qui était effectivement installée
sur le trône en Castille et au Portugal.
Et
cela va devenir la position officielle de la monarchie
espagnole issue de Raymond de Bourgogne: dorénavant
les historiographes espagnols vont affirmer, pour
couper court à toute objection, que Charlemagne
n'a pas dépassé les Pyrénées et que les Français
ne peuvent prétendre à un quelconque droit de conquête,
surtout en Castille.
Cette
position apparaît dès le début du XIIème siècle,
puisque nous savons déjà que, face au silence de
la Chronique d'Alphonse III au Xème siècle, le moine
de Silos, le premier, vers 1110, en écrivant son
Histoire d'Espagne, rejette catégoriquement toute
idée de ville conquise par Charlemagne en Espagne.
C'est
la raison pour laquelle également, dans la troisième
compilation du Livre de saint Jacques, entre 1132
et 1158, celle qui fut entreprise par Aymeri Picaud
et Olivier d'Iscan, et placée sous l'autorité de
Calixte II, - de son vrai nom Gui de Bourgogne,
le frère de Raymond de Bourgogne - , l'Histoire de
Charlemagne est noyée dans un flot de combats invraisemblables
et de discussions théologiques, et placée en dehors
des textes réputés authentiques, parmi les "Chansons
mensongères" ("cantilenas mendosas").
A
ce moment de l'Histoire, la dynastie bourguignonne
installée en Espagne n'avait déjà plus aucun intérêt
à rappeler dans un texte officiel faisant autorité
- "tout cela est authentique et dit avec grande
autorité" - , à ses cousins français un quelconque
droit de conquête en Espagne.
Ces
positions seront encore affirmées avec force au
siècle suivant par les historiographes espagnols
tels que Jiménez de Rada, déjà cité, qui reprend
à son compte l'idée de "chansons mensongères"
du Codex Calixtinus:
"certains
qui tiennent aux fables des baladins nous racontent
que Charlemagne prit (en Espagne) plusieurs villes,
châteaux et places fortes, qu'il entreprit activement
grand nombre de combats contre les Sarrasins...
(alors qu'il) ne réussit pas à dépasser le col de
Roncevaux".
Ces
positions seront aussi celles d'Alphonse X, quand
il affirme à son tour que Charlemagne ne dépassa
point le col de Roncevaux.
Ces
historiographes vont élaborer ainsi une doctrine
officielle qui déniera tout droit de conquête en
Espagne aux rois de France, successeurs et héritiers
de Charlemagne.
II
- 1 : CALIXTE II ET LA TROISIÈME COMPILATION
Vers
le milieu du XIIème siècle, une troisième compilation
du Livre de saint Jacques a vu le jour. C'est celle
que nous connaissons à travers le Codex Calixtinus.
Gaston
Paris pensait qu'elle put se faire à partir du voyage
que Gui de Bourgogne, - étant archevêque de Vienne,
et avant de devenir Pape sous le nom de Calixte
II - , entreprit en Espagne pour se rendre à Léon
en 1108, et assister à la cérémonie au cours de
laquelle il fut nommé, - en compagnie de Diego Gelmirez
- , tuteur du jeune Alphonse Raymundez, son neveu,
fils de son frère Raymond de Bourgogne, ainsi que
nous le dit l'Historia Compostelana:
"sollicitant
la protection de l'oncle paternel de l'enfant (Alphonse
Raymundez), l'archevêque de Vienne, qui était présent".
Lors
de ce voyage à Léon, et peut-être même à Compostelle,
un moine de sa suite, selon Gaston Paris, aurait
trouvé la deuxième compilation avec les cinq premiers
chapitres de l'Histoire de Charlemagne, et l'aurait
ramenée en France dans l'intention de la continuer,
et lui donner la forme que nous lui connaissons
grâce au
Codex Calixtinus.
Rien
ne s'oppose, en principe, à ce que Gui de Bourgogne
et sa suite aient rapporté de leur voyage en Espagne,
en 1108, une copie de la deuxième compilation, et
que sous son impulsion, Aymeri Picaud, Olivier d'Iscan
et d'autres, aient travaillé à l'ouvrage pour le
continuer et le parachever vers le milieu du XIIème
siècle, toujours sous les auspices de Cluny, où
la plus grande partie du manuscrit fut compilée:
"Ce
Codex fut écrit en plusieurs endroits et principalement
à Cluny".
Et
cela est d'autant plus vraisemblable que le livre
renfermait toujours dans ses pages, parmi ses motivations,
l'appel au pèlerinage à Saint-Jacques et, - par
Charlemagne interposé - , l'appel à la croisade
en Espagne, rendue nécessaire parce que l'héritier
du trône et futur Alphonse VII (1126-1157) était
le neveu de Calixte II, le fils de son frère Raymond
de Bourgogne.
Rien
d'étonnant alors que ces compilateurs: Aymeri Picaud,
Olivier d'Iscan, et Cluny, - qui avait encore en
1131 des relations très étroites avec Compostelle,
ainsi que le montre la lettre de l'abbé Pierre de
Cluny à Diego Gelmirez, l'archevêque de Compostelle
- , aient essayé de présenter une bonne partie de
la compilation comme étant l'oeuvre personnelle
du pape Calixte II, oncle du roi, revêtue de son
autorité par de nombreuses lettres apocryphes qu'ils
ont placées en exergue à chaque ouvrage la composant,
dans le but de rattacher saint Jacques à la Maison
de Bourgogne, dont une branche venait à peine, -
au milieu des difficultés que l'on sait - , de monter
sur le trône de Castille, en 1126, avec Alphonse,
le neveu de Calixte II.
Mais
ces ajouts avaient aussi pour finalité d'encourager
l'aide militaire et économique, par pèlerin interposé,
à l'Espagne d'Alphonse VII, que ce soit par l'introduction
à la fin du 4ème livre du Codex de la lettre apocryphe
de Calixte II où celui-ci appelle les fidèles à
la croisade en Espagne, d'après ce qui avait été
dit au Concile de Latran de 1123, que ce soit par
l'introduction dans la partie patristique et liturgique
des sermons de Calixte II où il est question, plus
que jamais, d'authentifier les reliques et la prédication
de saint Jacques en Galice, de faire de l'Apôtre
le chef de l'Église espagnole, et d'inviter les
chrétiens au pèlerinage à Saint-Jacques, accordant
la protection du ciel et le paradis à ceux qui tomberaient
entre les mains des maures, avec ces quelques phrases
qui sont prises à l'un de ces sermons:
"Si
par hasard tu étais capturé par les Maures, reste
fidèle, pour que tu puisses recevoir la récompense
promise par Dieu quand il a dit à ses fidèles: Celui
qui restera fidèle jusqu'à la fin sera sauvé. Et
ainsi que la descendance d'Abraham grandira jusqu'au
sommet de la terre et sera élevée jusqu'aux étoiles,
de la même façon les pèlerins de Saint-Jacques grandiront
sur terre chaque jour et seront conduits, par dessus
les étoiles, à la Patrie céleste avec lui".
*
* *
Au
terme de ce parcours rapide, nous n'avons certes
pas le sentiment d'avoir dressé un bilan exhaustif
des paramètres intervenant dans ces remaniements.
Nous tenons, toutefois, à souligner l'importance
décisive à nos yeux du facteur politique dans les
motivations qui ont conduit à ces réélaborations
du Livre de Saint Jacques.
Par
là même, qu'on nous permette une vérité de La Palice,
presque une tautologie - puisque notre axiome de
départ - : à suivre la gestation du Livre de Saint
Jacques, il apparaît que toutes ces compilations
successives sont loin d'être gratuites ou fruit
d'un labeur tatillon, même si les motivations les
plus circonstanciées et les moins désintéressées
ont pu échapper à la perspicacité de leurs auteurs.
Avec
le recul du temps, elles apparaissent, au contraire,
avec tout leur poids de nécessité humaine, dès qu'on
s'efforce de les replacer dans leur contexte.
L'activité
paraphrastique, porteuse de sens, ne saurait dans
le cas présent être séparée du monde dans lequel
elle s'exerce.
Marie
DE MENACA,
Université
de Nantes.
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